La part animale – (France – 1h27) de Sebastien Jaudeau avec Niels Erestrup, Sava Lolov, Rachida Brakni…
Le dindon de la farce
Malgré votre insondable curiosité, il est des métiers dont vous ignorez jusqu’à l’existence, et le premier film de Sébastien Jaudeau aura le mérite de vous faire découvrir une profession plutôt rare, qui demande un doigté très particulier. Nouvellement embauché dans une exploitation agricole, Etienne est branleur de dindons… Je sens comme doute s’installer en vous à ce moment de la lecture… Est-ce bien sérieux ? Serait-ce un film avec Dupontel tourné à L’Embobineuse ? Rien de tout cela, l’histoire se déroule en Ardèche, et ne laisse guère de place à notre humour le plus gaulois : très froidement, presque cliniquement, le film nous interroge sur notre propre animalité et sur la bestialité de notre désir. Présenté de cette manière, il apparaît soudain beaucoup moins drôle, mais en devient du même coup plus intéressant, pour ne pas dire « profond ». Etienne donc, celui qui stimule les dindons pour féconder les dindes, a du mal à préserver son entourage familial d’une vie professionnelle envahissante. Il semble peu à peu se détacher de tous les liens affectifs qui l’enserrent pour se réfugier dans une espèce d’autisme béat qui lui assigne un rôle de spectateur privilégié de sa propre expérience. L’autorité de son patron le fascine, le corps de sa femme l’intrigue, mais ne l’excite plus, et la seule fois où il dévoile son sexe, c’est pour faire un cadeau d’adieu à une octogénaire qui va bientôt mourir… Vous l’aurez compris, La part animale est un film qui se distingue aisément du reste de la production cinématographique française de par son sujet et ses choix esthétiques aventureux, nous offrant quelques images magnifiques et stupéfiantes dont le sens n’est jamais vraiment évident. On pense parfois à Adieu d’Arnaud Des Pallieres pour la dimension métaphysique de gestes quotidiens ou à Alain Resnais lorsqu’il traduisait en images les théories d’Henri Laborit dans Mon oncle d’Amérique. Aussi ambitieux que singulier, le cinéma de Sébastien Jaudeau, malgré sa froideur apparente, ne nous laisse pas insensibles, et les plus terrestres d’entre nous ne verrons plus jamais du même œil l’arrivée triomphale de la dinde de Noël sur nos tables festives et familiales.
nas/im