LA TREILLE DES NEGRIERS – Tarik Noui (Melville éditeur)
Tarik Noui a choisi d’être une écriture plutôt qu’un conteur des milles et une nuits. Dès La désolation des singes, il nous ouvrait à un monde écorché… (lire la suite)
Tarik Noui a choisi d’être une écriture plutôt qu’un conteur des milles et une nuits. Dès La désolation des singes, il nous ouvrait à un monde écorché et sauvage, infecté par sa propre humanité. La treille des négriers poursuit cette plongée dans la nudité des relations qui unissent et ravagent les hommes. Plus qu’un livre, c’est un cri.
Une voix incantatoire s’élève et nous saisit : Bilal, l’Algérien, âme torturée, est revenu d’outre-tombe pour faire surgir nos démons, ces ombres qui s’agitent vainement dans le sillon de notre histoire, les morts, les oubliés et les exclus. Il s’immisce dans la conscience du Colonel Chabert, son tortionnaire, hante ses pensées, provoque son irrémédiable fin, le suicide peu à peu en retour de l’humiliation subie. Bilal nous entraîne dans son propre gouffre : les affres de la guerre et les déshonneurs, la colère sourde de celui qui sera toujours vu comme l’étranger, rejeté d’office, acculé, vidé, tué. Il n’y a pas d’espace pour détourner la tête. La fête est imminente, une grande orgie de la langue défait le silence. Ce qui pisse ici, ce n’est pas seulement le sang, c’est la langue qui se dévergonde. Coude à coude, les mots brusquent, ravagent, disséminent nos sens — combustion interne. On s’y écorche, confusion de notre personnalité de gens confortablement assis dans une langue (et une vie) vidée de ses aspérités.
Diane M.