La Trilogie de Franck par la Cie L’Entreprise au Plateau de la Friche La Belle de Mai
Le fils conducteur
L’Entreprise, compagnie phare dans le paysage marseillais, mais pas seulement, a une nouvelle fois éclairé les spectateurs du Massalia avec La Trilogie de Franck. Autour du récit de la fugue d’un enfant de treize ans, c’est toute la singularité d’un parcours de vie qui nous est contée, sans détour, avec virtuosité.
Une trilogie, comme autant de points de vue sur la vie d’un enfant : à travers le prisme de son collège, celui de sa relation à sa mère, et enfin, du couple parental. Dans La Table du fond, ses professeurs nous présentent un jeune homme qui « fabrique du silence » et trouve à l’école « la distance lui convenant ». Franck devient l’énigme de sa mère, Sylvie, qui le découvre au collège, dans ce monde inconnu. Le deuxième volet, Silence, se passe dans un bar face au collège : c’est ici que Sylvie retrouve son fils plongé dans un livre. Sa passion pour la littérature (une porte de sortie) l’emporte par-delà le réel, à tel point qu’il en oublie de rentrer chez lui. Les corps se cherchent, tandis que les mots ne suffisent plus à rationnaliser la situation. La mère est désemparée, les deux personnages nous donnent à voir avec précision toute la tension des rapports filiaux. Son père hurlera dans le dernier tableau, Le Soir, que Franck « est seul dans son silence car sa mère est nulle. » La froide hystérie de cette femme, fil conducteur des trois spectacles, nous plonge dans un malaise étrangement familier. L’échelle du décor dans lequel elle vit avec son mari, absent et maniaque, stigmatise leur enfermement : une bulle de laboratoire miniaturisée où l’espace ne peut tolérer le déploiement de la communication. Tout se resserre et s’entrechoque, on ose espérer que les livres sauveront l’enfant de ce cocon étriqué. Cette expérience proposée par L’Entreprise est d’une grande profondeur. Au-delà du texte, signé, comme la mise en scène, par François Cervantes, c’est l’interprétation virtuose des comédiens, Nicole Choukroun et Stephan Pastor, qui orchestre la multiplicité complexe de l’histoire de Franck. Trois spectacles créés à dix ans d’écart. Avec la juste distance du temps.
Maude Buinoud