Facade de la rue Thiers avec les academiciens

L’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille

Les riches heures de l’Académie de Marseille

 

L’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille, créée en 1726 sous le règne de Louis XV, est la doyenne des institutions culturelles de la cité. La vieille dame élégante et cérémonieuse aimerait rajeunir son image. Elle a ouvert la porte de sa thébaïde et veut descendre dans l’arène. Qu’elle n’y perde surtout pas ses bonnes manières, elles font partie de notre patrimoine immatériel.

 

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À l’image de l’Académie française et de l’Académie des sciences, dès la fin du XVIIe siècle, les érudits de province se regroupent autour de curiosités encyclopédiques ; à l’humanisme classique de la République des Lettres ils associent des préoccupations scientifiques et techniques. Désireux de confronter leurs talents et d’élargir leurs savoirs, ils intensifient et formalisent leurs relations interpersonnelles. La création d’académies de province offre un refuge et un tremplin aux beaux esprits, laïcs ou cléricaux, nobles ou roturiers, adversaires des superstitions et des préjugés, ainsi qu’aux notables et élites culturelles locales, pour qui une place honoraire devient la consécration d’une carrière. Liées à la sociabilité des milieux urbains éclairés, ces compagnies savantes s’intègrent à la vie municipale en y jouant un rôle civique et pédagogique (musées, bibliothèques, cabinets d’histoire naturelle, jardins botaniques, leçons publiques…). En proposant des modèles d’admiration au moyen de concours, de prix, d’éloges et de célébrations, les académies provinciales incarnent publiquement les normes de la littérature, des arts ou des sciences, mais éveillent également des collaborations où se rejoignent la créativité et l’innovation. Ce faisant, elles propagent une foi profonde dans le progrès humain et, en liant savoir et éloquence, hâtent la diffusion du français sur l’ensemble des communautés culturelles du territoire comme le remarque le marquis de Vento de Pennes à l’Académie de Marseille en 1786 : « Nos concitoyens les mieux élevés… m’ont avoué qu’ils pensaient provençal et qu’ils étaient ensuite obligés de traduire… »

Sans s’interroger sur les ambigüités liées à l’effort de rationalisation tenté par l’État, ni à leurs liens à double entente avec les autorités locales, les académies provinciales s’articulent autour du thème du bien public en évinçant du domaine critique Dieu, le roi, les mœurs… Cette prudence (ou sagesse ?) a permis à ces sociétés savantes de traverser les siècles et les régimes politiques, à l’exception d’une brève interruption pendant la Révolution.

 

ET AUJOURD’HUI ?

La Conférence Nationale des Académies regroupe 28 institutions de statuts et de traditions semblables sous l’égide de l’Institut de France. Rien d’essentiel n’y a vraiment changé ni dans la lettre, ni dans l’esprit. Les femmes y sont apparues (en 1975 à Marseille) ; les jeunes ont disparu alors que le quart des membres avait moins de trente ans à la fin du 18e.

À Marseille, les candidats à un fauteuil sont élus à vie par les membres résidents au nombre de quarante. Les académiciens se réunissent deux fois par mois, au cours de séances privées, pour entendre la communication de l’un des leurs sur un sujet de sa compétence. Des entretiens publics sont proposés à la bibliothèque de l’Alcazar sur des thèmes scientifiques ou artistiques liés à Marseille et sa région que des journées d’études viennent occasionnellement développer. L’Académie participe aux Dimanches de la Canebière avec un programme de conférences sur les thèmes qui lui sont chers (« Il y a cent ans : l’armistice » le 30/09 ; « Clot-Bey. Un médecin à la cour du Pacha d’Egypte » le 28/10 ; « Une, deux, trois Canebières » le 25/10). Chaque année, elle décerne des prix dans chacune de ses sections ainsi que des prix d’encouragement à des œuvres sociales.

L’Académie gère également un fond bibliothécaire d’un intérêt historiographique et esthétique remarquable situé dans la maison natale d’Adolphe Thiers, entièrement rénovée en 2011. Livres et manuscrits y retracent trois siècles de développement des sciences et des arts en Provence.

Le monde, lui, a changé. La communication est devenue l’instrument essentiel de l’existence dans l’espace public. Là réside peut-être une chance à saisir pour des institutions au capital de confiance anciennement bâti à faire valoir leur patrimoine et leur excellence dans la circulation si peu hiérarchisée de la connaissance. L’Académie de Marseille en a saisi les enjeux multipliant depuis quelques années les ouvertures (1) et l’accès à sa documentation sur place ou via son site internet.

La dynamique est lancée. L’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille a entrepris de légitimer son devenir autrement que par le lien des temps — même quand celui-ci est tenu pour atout — et d’assurer sa pérennité, comme aux moments cruciaux de son histoire, par la mise en œuvre des talents individuels qui la composent, au service de la collectivité.

 

Roland Yvanez

 

Rens. : www.academie-sla-marseille.fr

 

 

« Le Marseillais des Lumières »

Parmi les initiatives et travaux conduits par les personnalités qui se sont succédé aux fauteuils de l’Académie de Marseille, l’action déterminante de Claude-François Achard pour la défense du patrimoine culturel régional dans les turbulences et les bouleversements révolutionnaires mérite d’être soulignée.

Docteur en médecine et bibliophile passionné, Achard publie en 1785 un Dictionnaire de la Provence estimé. Membre actif de nombreuses assemblées (loge maçonnique, Société de Philanthropie, fauteuil 23 de l’Académie de Marseille…), il incarne à la fin de l’Ancien Régime le « Marseillais des Lumières » (cf. revue Marseille, juillet 2015). Adhérent au club des Jacobins en 1792, il se voit confier en 1794 la direction de la Commission des arts chargée d’inventorier les fonds confisqués aux couvents et aux aristocrates émigrés. On lui doit la sauvegarde de nombreux monuments ou objets religieux et la préservation de livres, manuscrits et œuvres d’art qu’il installe dans le couvent des Bernardines. Pendant le Consulat, il parvient à rétablir sous le nom de Lycée des Lettres et des Arts, l’Académie de Marseille supprimée par la Convention en 1793. Sa dénomination première lui sera rendue en 1802.

Jusqu’à sa mort, il se consacrera à l’édification et au développement de la bibliothèque municipale, accueillie à l’Alcazar en 2004 après de nombreux détours. Les sculptures et peintures placées sous sa protection formeront les premières collections du futur Musée des Beaux-Arts de Marseille.

RY

 

Depuis Platon

D’Académos, près d’Athènes, où Platon fonda son école philosophique en 387 av. JC, une « académie » est devenue par extension un lieu d’enseignement ou une assemblée de lettrés, savants ou artistes. En 1563, l’Accademia delle Arti del Disegno de Florence est la première académie artistique apparue en Europe, à l’initiative du peintre Giorgio Vasari. Elle est rapidement imitée par d’autres villes italiennes et par d’autres disciplines (musique, architecture…), parfois issues de corporations professionnelles plus anciennes. En France, au XVIIe siècle, de nombreuses académies royales verront le jour.

Ne pas confondre l’Académie des Sciences, lettres et Arts de Marseille (souvent contractée en « Académie de Marseille ») avec l’Académie d’Aix-Marseille, l’organe gestionnaire des personnels de l’Éducation Nationale (!) ou bien encore avec l’Académie de peinture et de sculpture de Marseille, institution éphémère (1753-1793) à vocation pédagogique qui fut à l’origine de l’École et du Musée des Beaux-Arts de Marseille, lequel lui consacra une exposition et une journée d’études nationale en 2015.

RY

 

Notes
  1. Première exposition publique des collections de sculptures, peintures, livres et documents anciens de l’Académie en 2015 à l’Alcazar[]