Laterna Magica : du 2 au 24/12 dans divers lieux de la ville
L’imagination au pouvoir
Tout au long du mois de décembre, Fotokino investit quatorze lieux entre Marseille et Aix-en-Provence pour livrer la sixième cuvée de son événement-phare annuel, Laterna Magica, source intarissable de création d’images.
Depuis les débuts du cinéma, depuis Méliès, Keaton ou les Lumière, depuis que l’image animée s’est transformée en rêve, que la lanterne magique a ouvert la boîte de Pandore qui révolutionnerait l’histoire de l’Art, on sait que le cinéma, dans sa forme originale — une animation de foire adressée à tous —, offre autant de miroirs reflétant jusqu’aux aspects les plus sombres de l’âme humaine. Si, à l’instar du conte écrit, le cinéma d’animation n’atteint « son public » — celui qu’on dit « jeune » — que par sa construction formelle (et encore !), il offre souvent des œuvres empreintes d’obscurité, de perversion, d’observation lucide face à la nature humaine, voire de critique politique. L’œuvre de Ladislas Starewitch, à nouveau programmée lors de cette nouvelle édition, en est un savoureux exemple. En écho à La Fontaine, les fables du cinéaste d’origine russe développent, avec une maestria technique renversante, une observation politique en étroite relation avec les évènements vécus au début du XXe siècle. Son adaptation du Roman de Renard fourmille autant de trouvailles techniques que de réflexions sociales au sein de ce royaume des animaux où traîtrise, lâcheté et mensonges font partie du jeu. Nous le savons ainsi depuis la nuit des temps : dans le conte pour enfants et dans son extension historique, le film d’animation ou de jeunesse, l’innocence est un vernis, parfois à peine apparent, qui couvre de plus profonds, et parfois plus sombres, desseins. C’est en partant de ce postulat que Fotokino propose l’une des manifestations les plus passionnantes de la saison, cette sixième édition de Laterna Magica. L’imagination s’y construit au fil des films et l’espace ainsi ouvert offre un champ que le cinéma traditionnel de fiction, dans son imposante fabrique de réalité, peine aujourd’hui à nous proposer. Au cœur de la programmation cinématographique, quelques moments forts, avec bien évidemment cet hommage incontournable au cinéaste marseillais Paul Carpita, récemment disparu, et dont les premiers courts promènent la caméra dans les quartiers de la ville, à hauteur d’enfant. Ses fidèles amis, Jean-Pierre Daniel et Claude Martino, viendront présenter la séance qui lui sera dédiée. Ne manquons pas d’autre part l’avant-première du dernier opus de Jiri Barta, dont l’extraordinaire Krisar, l’adaptation du Joueur de flûte d’Hamelin, est encore dans toutes les mémoires. L’ensemble de la programmation offre un tour d’horizon international de la création, balayant les époques. On y retrouve la virtuosité des studios de Shanghai, la richesse du cinéma d’animation d’Europe de l’Est, l’intelligence de l’école française ou l’art débridé et urbain — voire idéologique, car c’est dans le film d’animation que s’expriment les propagandes les plus radicales — du cinéma américain. Concernant ce dernier, et pour rester dans la thématique sélectionnée cette année du film bricolé, de la matière récupérée, de l’imagination transformant l’objet parfois usé en outil de rêves, l’équipe de Fotokino nous invite à (re)découvrir trois grands classiques des débuts du cinéma nord-américain, en compagnie de Charley Bowers, bricoleur de génie, et Buster Keaton, cinéaste funambule. Enfin, pour mieux revenir aux origines de cet art de l’ellipse, la Baleine Qui Dit Vagues propose une séance spéciale de ciné-contes, animée par Laurent Daycard, plongée délicieuse à la source du cinéma, portée par les œuvres de Méliès ou Gaston Velle. Parallèlement aux projections, Fotokino construit sa manifestation sur deux axes majeurs : les expositions et les ateliers. Parmi les nombreux invités, citons Isidro Ferrer, illustrateur et graphiste inspiré, qui ouvrira son espace de création à l’occasion d’un workshop, Pierre, Papier, Ciseaux, entre les murs de la Galerie Montgrand. Suivent, comme à chaque édition, une multitude d’ateliers de création qui permettront de développer l’imaginaire de toutes et tous, des plus jeunes aux plus âgés. Une autre façon d’utiliser l’objet, de redéfinir l’espace, de recréer le Monde.
Emmanuel Vigne
Laterna Magica : du 2 au 24/12 dans divers lieux de la ville (voir programmation détaillée dans les différents agendas). Rens. 09 50 38 41 68 / www.fotokino.org