La Capital

Le Capital présenté à la Cartonnerie

Capital de la culture

 

Quel pari fou que d’adapter au théâtre une œuvre comme Le Capital de Karl Marx. Sylvain Creuzevault nous démontre pourtant encore une fois qu’une des forces de l’art réside dans sa capacité à s’approprier un sujet complexe pour nous questionner sur le fond comme sur la forme. Quitte à nous perdre dans une joyeuse confusion.

 

« Science » hermétique s’il en est, l’économie a déjà fait l’objet de vulgarisations plus ou moins complètes (L’économie pour les Nuls, L’économie expliquée à ma fille) et même d’approches ludiques (la bande dessinée Economix). Au sein de cette discipline, Le Capital fait figure d’ovni. Œuvre inachevée de Karl Marx, dont la rédaction s’étale sur une vingtaine d’années, seul son premier chapitre a été publié de son vivant, en 1847. Pour expliquer le système capitaliste et ses contradictions internes, causes inéluctables de sa perte, Marx convie à sa table économique des considérations aussi bien philosophiques et historiques que politiques. C’est d’ailleurs par un banquet et un comédien jouant en même temps le rôle de Bertolt Brecht, Sigmund Freud et Michel Foucault que s’ouvre l’adaptation théâtrale de Sylvain Creuzevault. Nous voici prévenus : ce repas théâtral s’annonce comme un foisonnement verbal et esthétique, flirtant avec l’étrange.
Si le spectateur n’assimilera pas tout, il en ressortira riche d’une expérience singulière. Le talent du metteur en scène et des treize comédiens réussit à faire mentir une croyance selon laquelle l’économie ne serait qu’un plat de chiffres et d’inhumanité. Derrière la marchandise produite, il y a d’abord, chez Marx, de l’humain : le travailleur, apportant la valeur travail, et le propriétaire des moyens de productions, qui l’exploite. En écho à la pluridisciplinarité de Marx, le metteur en scène insuffle un zeste de philosophie, une pincée de politique et une larme d’humour à son plat théâtral, à déguster sans modération pendant plus de trois heures. Sous couvert de débats enflammés entre les personnages, tous les thèmes du livre de Marx sont abordés, de la valeur d’usage au rôle de la monnaie, marchandise universelle, en passant par la valeur travail et la valeur d’échange. Mais il s’agit ici avant tout de spectacle vivant, comme viennent nous le rappeler les costumes de Deschiens ou les usages multiples d’éléments de décor (table de repas, barricades, tribunal). Et si une scène, sur fonds de critique religieuse, paraît superflue, une autre nous met sur la piste d’un des apports les plus significatifs du spectacle vivant à l’économie : si les marchandises pouvaient jouer, on les comprendrait certainement mieux.

Guillaume Arias

 

Le Capital était présenté du 21 au 24/05 à la Cartonnerie (Friche La Belle de Mai), sur une programmation du Théâtre National de Marseille La Criée.