Le dessin, un genre ? à la Galerie du 5e
Dessein multiple
Le réseau Marseille Expos invite le comité de pilotage du salon consacré au dessin contemporain Paréidolie pour déployer une nouvelle saison du dessin au cinquième étage des Galeries Lafayette. Une nouvelle exposition posée par un titre aux ambivalences facétieuses et assumées : Le dessin, un genre ?
« Celui qui fait parfaitement des paysages est au-dessus d’un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement ; et comme la figure de l’homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la Terre, il est certain aussi que celui qui se rend l’imitateur de Dieu en peignant des figures humaines est beaucoup plus excellent que tous les autres. » André Félibien (1667)
De la hiérarchie académique des genres élaborées au 17e siècle à la « théorie du genre », polémique actuelle alimentée pour oublier que le plus grave est ailleurs, l’exposition de la Galerie du 5e joue sur la polysémie et l’extrapolation actuelle du terme. On peut y voir un clin d’œil à Michèle Sylvander, pour qui la question du genre féminin/masculin occupe une place centrale dans son travail photographique, et dont le tirage La Toison d’or, que l’on découvre dès l’entrée, brouille les pistes d’une exposition soi-disant consacrée au dessin. Il s’agit ici de rendre compte de la porosité des frontières entre les différents médiums artistiques…
Si le genre désigne un ensemble de personnes, d’objets, ou de pratiques liés par la similitude de plusieurs caractères, on peut se demander ce qui relie les huit artistes présents ici. L’exposition Le dessin, un genre ? interroge le médium dans ses digressions contemporaines. Le dessin se fait sans papier et sculptural chez Mathis Collins, décomposé et immatériel chez Pascal Navarro, ondulatoire et virtuel chez Jennifer Caubet, mural et spatial chez Stéphanie Nava, mathématique et sensuel chez Sylvie Pic, architectural et minimal chez Marine Pagès, manipulé et transféré chez Michèle Sylvander, solennel et gestuel chez Gérard Traquandi.
Les trois estampes de Jennifer Caubet sont autant de points de vue sur l’espace abstrait produit par les ondes magnétiques de sa sculpture Utopia (que l’on peut voir au domaine de Saint-Ser). Immatérialité que l’on retrouve dans l’œuvre de Pascal Navarro L’orée, dans laquelle les images se construisent et s’effacent en même temps, au gré des projections de lumière.
Mathis Collins ancre dans le liège l’image de son visage, raillant l’art « participatif » et renouant avec le geste enthousiaste des amoureux qui gravent leurs noms sur un tronc d’arbre, immortalisant ainsi leur histoire. Les personnages de Stéphanie Nava se livrent quant à eux au jeu de l’amour et du hasard sur un format inhabituel — toute la surface d’une cimaise — qui magnifie la petite histoire de couple, ainsi que le trait issu de son geste amplifié.
Chez Gérard Traquandi, les lignes s’entrelacent, sans premier ni second plan, comme autant d’évocations florales qui se perdent dans l’abstraction. Dans la série — inédite — Personna, les personnages de Michèle Sylvander se dérobent au regard du spectateur, se cachant sous des masques, reflétant la problématique identitaire chère à l’artiste. Le médium se cache ici comme les personnages et l’artiste crée un nouveau genre : des êtres entre deux âges, entre deux sexes ; une technique entre plusieurs médiums…
Marine Pagès élabore sur le mur une cartographie sybilline de grands espaces striés par des routes. Différents formats, différents papiers, différentes matières et différents traits ou hachures composent un ensemble indéfinissable. Comme pour lui répondre, les dessins de Sylvie Pic s’abordent eux aussi comme des énigmes visuelles, à la fois autonomes et modulables par celui qui les regarde. Ses espaces abstraits se laissent approprier par le spectateur qui en déterminera lui-même la morphologie et s’y projettera si l’appel du gouffre le tente.
Des glissements s’opèrent vers plusieurs champs. Le dessin s’affranchit de la peinture, le trait et le papier s’émancipent l’un de l’autre, les différents médiums se confondent dans une même pratique artistique. Les frontières tombent. Le dessin n’est plus seulement la trace déposée par un geste sur une feuille, mais demeure « l’expression la plus haute et la plus pure de la fusion entre la pensée et la main de l’artiste. » (Françoise Jaunin)
Céline Ghisleri