La Vieille Charité est régulièrement sujette aux fermetures inopinées de salles, faute d'effectifs pour les maintenir ouvertes.

Le grand chaos des musées municipaux décortiqué

La chambre régionale des comptes vient de rendre un rapport sur la gestion des musées municipaux qui sera débattu en conseil municipal vendredi. L’institution dresse un constat particulièrement sévère.

 

 

Une sévère remontrance, en sept chapitres et six recommandations. Ce vendredi 30 septembre, le conseil municipal sera amené à étudier le rapport bouclé en décembre 2021 par la chambre régionale des comptes (CRC) sur la gestion des onze « musées de France » municipaux, entre 2012 et 2020. « Comme identifié par la chambre, ces musées « font depuis de nombreuses années l’objet de difficultés importantes », reconnaît le maire, Benoît Payan, dans son courrier de réponse annexé au rapport. Le ton des observations définitives de la CRC est, de fait, cinglant : « Le chemin à parcourir est encore long pour mettre en œuvre les réformes indispensables à un meilleur service rendu aux usagers. »

 

Obsolescence (programmée)

Premier point soulevé par les magistrats de la chambre : les musées marseillais sont un paquebot sans boussole. Tout espace muséal labellisé « musée de France » doit bénéficier d’un « projet scientifique et culturel ». Pourtant, à Marseille, les musées municipaux ne disposent pas — ou peu — de cette feuille de route stratégique. Et, quand un musée en a une, le document est obsolète. La CRC note néanmoins qu’à compter de 2020, la Ville a cherché à se doter d’un projet scientifique et culturel transversal. Mais celui-ci n’était pas encore engagé en juin 2021. Sollicité, l’adjoint à la culture Jean-Marc Coppola n’a pas pu répondre dans les délais impartis.

Du coup, les musées sont englués dans une forme d’obsolescence qui les fait clairement stagner, cadre la chambre. De fait, cogne la CRC, les services rendus sont « insuffisants » et la « méconnaissance des publics » règne. Surtout, la rénovation de la quasi-totalité des musées depuis 2013 « n’a pas été l’occasion d’en faire des établissements modernes », regrette le rapport, qui s’appuie notamment sur l’absence d’audioguides ou de fiches de salle rédigées en langue étrangère, notamment en anglais. Les musées marseillais, vieillissants, offrent un fonctionnement archaïque. La CRC demande donc à la Ville de « définir des objectifs clairs pour les musées, assortis de moyens, de calendriers de mise en œuvre et d’indicateurs d’évaluation. »

 

Fréquentation faiblarde

Ceci concourt donc à une fréquentation trop maigre. « Au niveau national, seul le site de la Vieille Charité, qui regroupe deux musées et organise les grandes expositions de la Ville, compte parmi les cent premiers sites muséaux de France (86e et 59e hors Paris en moyenne entre 2013 et 2018) en termes de fréquentation », analyse la chambre. Au classement départemental, les musées locaux sont devancés par Granet à Aix-en-Provence, le musée départemental de l’Arles antique ou le musée des Baux-de-Provence. Et si l’on exclut de l’étude l’année 2020, forcément peu révélatrice du fait de la crise du Covid, il apparaît que la fréquentation des musées marseillais a globalement chuté entre 2013 (660 980 visiteurs) et 2019 (367 663). Avec un « pic » de 500 000 visiteurs en 2018, quand la même année les musées lyonnais en totalisaient 1,5 million.

Les chiffres ne décollent pas plus pour les scolaires (ils étaient 74 000 en 2014, idem en 2019). Certains conservateurs indiquent recevoir trois fois plus de demandes qu’ils ne sont en capacité d’honorer. Les visites d’écoliers, collégiens ou lycéens constituent pourtant le gros des entrées pour admirer les collections permanentes. La CRC souligne de surcroit une moindre fréquentation « des élèves des quartiers pourtant jugés prioritaires ». Selon une étude menée par la Ville, ils viennent majorité du centre-ville : du 1er au 6e et des arrondissements limitrophes, du 8e et du 12e.

La chambre régionale des comptes s’émeut aussi des fermetures ponctuelles et inopinées de salles par « manque d’agents de sécurité », comme cela a été le cas à plusieurs reprises, cet été, pour l’exposition Objets migrateurs à la Vieille Charité. « La commune n’a pu fournir un décompte précis du nombre de jours de fermeture », s’inquiètent les auteurs et les autrices du rapport, qui relèvent également de trop fréquentes fermetures pour des accrochages et décrochages d’expos. Enfin, il y a la fameuse énigme du musée Grobet-Labadié « fermé depuis cinq ans pour rénovation, rappelle la chambre… sans qu’aucun travaux n’y ait pourtant été réalisé. »

 

Gouffre financier

Conséquence directe de la maigre fréquentation, la chambre relève des « recettes marginales » en billetterie, fruit entre autres d’une « politique tarifaire erratique ». La chambre reproche aussi à la collectivité l’instauration de la gratuité des collections permanentes, décidée par l’actuelle municipalité, à compter de 2020. Elle précise : « En l’espèce, aucune cible n’a été associée à cette gratuité, à courte ou moyenne échéance. En termes d’augmentation attendue du nombre de visiteurs et/ou de modification de la composition du public, qui permettrait, par une mesure adéquate, de s’assurer que les objectifs de cette politique ont été atteints. »

La chambre voit aussi rouge quand elle évoque la revente de catalogues : « un gouffre financier ». Rien de moins. « Les achats d’ouvrages destinés à la vente par les musées ont en effet représenté plus de 680 000 euros entre 2012 et 2020. » Or ces livres restent invendus… à 90 % et la ville en stocke désormais plus de 100 000, dont certains datent des années 50. Dans sa réponse, la Ville de Marseille a l’air piquée par l’absence de comparaison avec les autres villes françaises : « Si la chambre dispose de ces données, ou d’indications sur les volumes minimaux réalistes en tenant compte des seuils de coûts de production propres à l’activité d’édition, cela pourrait permettre d’aiguiller la collectivité sur les bonnes pratiques en la matière », répond-elle.

 

Partenaire particulier

La CRC s’agace enfin du fait que les expositions co-organisées avec la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP) attirent moins qu’escompté. Si elles sont pensées en commun, leurs coûts sont « intégralement supportés par la Ville, contrairement à ce qui est indiqué dans les délibérations du conseil municipal. »

Les six expositions RMN-GP ont ainsi globalement coûté, « a minima plus de 6,5 millions d’euros à la Ville pour une fréquentation largement moindre qu’escomptée, de l’ordre de 30 à 50 % et comptant largement plus de visites gratuites qu’initialement envisagée », peste la CRC. La Ville, en réponse, défend la nécessité renouvelée du partenariat passé avec la RMN : « Celle-ci peut venir compenser la faible attractivité des partenaires. Comme cela a été le cas pour les musées marseillais qui souffraient d’un fort déficit de réputation à l’international et d’infrastructures de production en propre pour organiser les expositions envisagées. »

In fine, ces différents points pèsent lourd en termes de coûts. La Ville a engagé plus de 86 millions d’euros d’investissements depuis 2012, comptabilise la CRC. Mais le résultat est largement négatif d’un point de vue financier. « Le déficit de fonctionnement de la fonction “musée” s’élève à plus de 30 millions d’euros », expliquent les magistrats, qui s’alarment : « Les coûts individuels de chaque établissement ne sont pas identifiables. Ce qui empêche toute action de contrôle de gestion. » La chambre réclame donc à la collectivité de « mettre en place un plan de contrôle permettant de s’assurer de l’exhaustivité des recettes », de même qu’une « comptabilité analytique pour pallier la méconnaissance des coûts de la politique muséale. »

 

Effectifs croissants

Le dernier tiers du rapport est voué aux questions des ressources humaines. Là encore, la CRC ne prend pas de gants et dépeint « une gestion des ressources humaines marquée par les concessions faites aux agents. » Depuis 2019, le service des musées est géré par pôle, ce qui a conduit à « une amélioration de la gouvernance », souligne l’institution. Toutefois, la chambre s’inquiète du fait que « la gestion des effectifs des musées s’inscrit dans un rapport de force quasi permanent avec la collectivité qui cède le plus souvent. »

La chambre se fait presque moqueuse. Elle dépeint une organisation qui vise d’abord « la paix sociale » et « génère un sureffectif en semaine et un sous-effectif le week-end. » Le temps de travail annuel est, lui, qualifié de « formel ». La critique s’adresse en premier lieu à l’ancienne municipalité, menée par Jean-Claude Gaudin. Lequel, sollicité en tant qu’ancien maire par la chambre, reconnaît sans ambages « les difficultés majeures rencontrées dans la mise en œuvre des évolutions (…) notamment celles qui concernent l’optimisation du temps de travail. » Mais il assure dans le même courrier avoir ouvert la voie à des améliorations.

Sur la période étudiée (2012-2020), le nombre d’équivalents temps-plein moyens rémunérés a progressé de 30 %. Il est de 450 agents dont 75 % de catégories C, le grade le plus bas. La chambre s’étonne que l’effectif soit « impossible à appréhender dans sa globalité ». Et souligne que malgré une part importante de missions externalisées, « les musées doivent, en outre, recourir à des personnels non permanents pour renforcer l’effectif lors de la plupart des expositions temporaires et remplacer les agents d’accueil et de surveillance de salles lors de leurs congés d’été. »

La quasi-totalité de ces agents est par ailleurs en « repositionnement professionnel ». « Les procédures de la Ville conduisent à affecter au sein des musées, généralement dans le cadre d’un repositionnement professionnel, les personnels les plus en difficulté », détaille le rapport. Avec un effet pervers, selon la CRC : « La fragilité de ces agents se traduit notamment par un niveau d’absentéisme très élevé. » Depuis 2017, il est supérieur à 13 %. Plus de 81 agents ont, par exemple, été absents toute l’année en 2019. La crise s’est aggravée avec le Covid. La chambre observe qu’en mai 2021, à la fin du deuxième confinement, tous les musées marseillais n’ont pu rouvrir du fait d’effectifs insuffisants. En matière de RH, la chambre invite la Ville à une connaissance plus fine des effectifs dans les musées et de mettre fin à la situation de précarité des vacataires qui remplissent une mission permanente pour la commune. Dans l’espoir, comme elle le requiert au gré de ses six recommandations, de voir les musées offrir aux Marseillais un service digne de la deuxième ville de France.

 

Coralie Bonnefoy