Le libre cours de l’imaginaire

Le libre cours de l’imaginaire

Pourquoi apprendre ? Comment trouver sa voie ? Autour des questions d’identité qui traversent l’adolescence, François Cervantes a composé un texte sensible et nuancé, que la Compagnie L’Entreprise présente dans le lieu le plus indiqué pour les aborder : directement dans les salles de classe… (lire la suite)

Pourquoi apprendre ? Comment trouver sa voie ? Autour des questions d’identité qui traversent l’adolescence, François Cervantes a composé un texte sensible et nuancé, que la Compagnie L’Entreprise présente dans le lieu le plus indiqué pour les aborder : directement dans les salles de classe.

« Moi je m’asseyais à la table du fond, je ne comprenais rien, je ne parlais pas… » Souvenirs de collège d’une femme d’une quarantaine d’années. Aujourd’hui elle est assise dans une salle de classe, à bout de forces : depuis trois jours, son fils n’est pas rentré à la maison, alors elle a marché jusqu’à son collège pour rencontrer ses professeurs, trouver quelqu’un qui la rassure. Première surprise : pendant ces trois jours, son fils est allé en cours. Deuxième surprise : il est estimé de ses professeurs, qui s’accordent même à constater qu’il change, qu’il « prend son envol ». La mère, elle, atterrit brutalement, et découvre que son enfant est un véritable inconnu pour elle…
Qu’est-ce que c’est, l’adolescence ? Apprendre comme les autres, trouver sa propre voie ? Répondre aux espoirs de sa famille, quitter son milieu ?… « Quand un enfant est plus intelligent que ses parents, l’école fait tout pour qu’il les quitte », se révolte la mère, qui se souvient avoir été « tellement obéissante » que les cours correspondaient tout au plus pour elle à des « tâches ménagères »…
Après une année passée sur les bancs d’un collège à observer les élèves, François Cervantes a composé avec La table du fond un texte qui évoque avec légèreté et gravité les questions d’identité qui traversent l’adolescence — et poursuivent chacun tout au long de sa vie… Pas de réponse toute faite dans le spectacle — on ne saura pas ce qui pousse le fils à s’émanciper, les versions divergent selon les « témoins » — mais un appel nuancé au droit de chacun à la liberté et à la singularité. Un appel d’autant plus sensible que le spectacle est présenté dans les lieux mêmes des réalités qu’il évoque : les salles de classe des collèges, où la disposition habituelle des rangées de tables est maintenue, où les élèves-spectateurs s’installent à leur place comme pour un cours.
Au milieu d’eux, le visage maquillé de blanc, deux comédiens incarnent tous les rôles avec une sobriété relevée d’une pointe de burlesque : un parti pris qui restaure avec drôlerie la « distance » théâtrale annulée par la proximité du public, et qui propulse les personnages au rang de figures emblématiques (la mère éplorée, le concierge solitaire…), dans un esprit qui rappelle le jeu de Charlie Chaplin.
Et la seule « figure » qu’on ne verra pas dans la classe, en définitive, c’est celle de cet adolescent dont tout le monde parle… Après la représentation, les élèves protestent : ils auraient aimé le voir, connaître sa version des faits. Réponse des comédiens : « Mais alors, il n’y aurait pas eu de spectacle. C’est parce qu’il est absent qu’on se pose des questions. C’est parce qu’il y a ce vide qu’on a besoin d’imaginer des réponses. » L’imaginaire qui entre dans la classe et lui dicte son cours mystérieux et imprévisible : ça change…

Fabienne Fillâtre