Le Limier – (USA – 1h26) de Kenneth Branagh avec Michael Caine, Jude Law, Harold Pinter…
Beaucoup de bruit pour rien
Parfois, pour mieux comprendre les mécanismes qui aboutissent à l’arrivée d’un film sur nos écrans, il vaut mieux poser le problème à l’envers. Soit, plutôt que d’expliquer pourquoi on ne trouve aucun intérêt au Limier de Kenneth Branagh, se demander comment aimer une telle kitscherie baroque ? Voilà d’abord un objet qui a tous les atours de la fausse bonne idée : rejouer le dernier film de Joseph L. Mankiewicz — pas le meilleur, soit dit en passant — en proposant à un des acteurs de l’original, Michael Caine en l’occurrence, de reprendre du service cette fois dans le rôle du cocu vengeur. Merci pour l’effet de miroir, sauf que le symbolisme franchement appuyé de la méthode s’avance avec une naïveté confondante. Et c’est un vrai problème, car si l’œuvre originale réfléchissait elle aussi sur le cinéma comme artifice ludique, grand théâtre des perversités, le travail de Mankiewicz était surtout l’expression d’un cynisme post-Cléopâtre à la fois lucide et réjouissant. Branagh est encore loin de cette subtilité-là, assénant son propos à force de surcadrages improbables et d’affligeants effets de montage. Finalement, son cinéma s’affiche comme un pur produit des 90’s et de leur idéologie dans ce qu’elle a de plus rance : l’imagerie chic et toc, la dictature du plan. Ce qui importe dans Le Limier, c’est moins le flux des images et des corps, leurs tensions réciproques, que la démonstration d’un certain savoir-faire dans la variation des cadrages. Un cinéma du morceau de bravoure où le seul enjeu de montage est de faire encore plus fort au plan suivant. De ce point de vue, Branagh réussit son pari. Le seul problème, c’est qu’il n’y a plus de spectateur assez motivé pour miser avec lui.
Romain Carlioz