Le Long voyage du jour à la nuit à La Criée
Home, trip home
Quand Eugene O’Neill rédigea son testament, il demanda que son Long voyage du jour à la nuit ne soit rendu public qu’un quart de siècle après sa mort. Autobiographique et débordant de « trop de sacrés trucs », la pièce est, dit-il, « ourdie de vieux chagrin, écrite avec des larmes et du sang. »
Dans la famille O’Neill, nous avons : le père, une « saleté de vieil avare », comédien qui s’est installé dans le confort d’une pièce à succès ; la mère, « l’autre camée », morphinomane égoïste, insidieuse et fragile ; le fils aîné, une « maudite langue de vipère », acteur raté qui écume bars et bordels. Et puis il y a le cadet, « le bébé de maman, le chéri de papa », marin tuberculeux et poète à ses heures, et auteur de la pièce. Bref, « dans cette famille… on est bien obligé d’être indulgent (…), sans quoi on devient dingue ! »
Que ce soit sous l’influence de la morphine ou de « Maître Johnnie pur malt », on se tord les boyaux et on vide ses tripes. On revient sans cesse sur ce foyer qui n’a jamais existé parce qu’on suivait le père dans ses tournées. « Je suis né et mort dans une putain de chambre d’hôtel », aurait déclaré l’auteur à la fin de sa vie. Or, ce mode de vie, l’un de ses frères l’a payé de la sienne. Aux survivants donc, de régler l’addition et — forcément — les comptes qui vont avec.
Par un prologue trop explicite, la metteuse en scène, Célie Pauthe, annonce un univers peuplé de fantômes. L’ennui, c’est que l’onirisme s’accommode mal d’un décor réaliste et d’un jeu souvent académique. Heureusement, Valérie Dréville fascine. Touchante, inquiétante, révoltante, elle nous soumet à quantité d’émotions. Les hommes, eux, attendront le dernier acte pour nous atteindre : une belle récompense pour les spectateurs qui seront restés jusqu’à la fin ! Ainsi, de ce long voyage de 3h45, on reviendra aussi épuisé qu’ébloui.
Texte : Capucine Vignaux
Photo : Elisabeth Carecchio
Le Long voyage du jour à la nuit était présenté du 5 au 12/05 à La Criée