Plutôt que de vous en chroniquer un énième, nous avons préféré cette semaine nous attacher aux mots en commençant par un incontournable du langage cinématographique : le « navet ».
Et le navet va…
Plutôt que de vous en chroniquer un énième, nous avons préféré cette semaine nous attacher aux mots en commençant par un incontournable du langage cinématographique : le « navet ».
Il faut le savoir dès le départ, le navet est avant tout un loser végétal. Tout le monde le prend pour un légume alors que c’est une plante, herbacée, de la famille des brassicacées pour être précis, mais on va s’arrêter là. Au fond, c’est un peu comme si on vous confondait avec un lampadaire. Aigri par cette méprise universelle, notre pauvre plante-légume a perdu le goût de la vie, et le goût tout court : il est devenu, comme la plus transparente de vos copines, fade et sans saveur. Remplacé un peu partout par la pomme de terre (navarin) ou la citrouille (Halloween), il est vite devenu la risée des autres fruits et légumes qui eux, pouvaient ramener leur fraise. Le snobisme étant ce qu’il est, c’est-à-dire l’apanage des cultureux et des bien-pensants, on a très vite pris l’habitude dans les salons branchés du XIXe siècle de qualifier de « navet » un tableau insipide ; aujourd’hui on dirait « croûte », c’est tellement plus chic ! Un demi-siècle plus tard, il était de bon ton, dans l’effervescence du Quartier latin, d’apposer l’adjectif légumier sur le dernier film — plus souvent français qu’américain — qui peinait lamentablement à capter notre attention. Après son passage dans le langage courant, « navet » est peu à peu entré en concurrence avec un autre terme culinaire, « daube », que la jeunesse oublieuse se farcit bien volontiers avec des pop-corns. Si au moins on était sûrs que le terme « nanar » soit un dérivé de « navet », on tiendrait là une descendance plus qu’honorable… Car — le savez-vous ? — le « nanar » diffère du « navet » par son aptitude à divertir, il amuse par ses défauts tandis que le « navet » est simplement mauvais et ennuyeux. Mais il semblerait aux dernières nouvelles que « nanar » provienne de « panard », ce qui qualifiait en argot un vieil homme, à l’allure aussi risible que désuète, bref « une vieille croûte » ou un « vieux croûton », au choix. Si « navet » n’a plus la primeur de nos expressions printanières, il n’en demeure pas moins présent tous les mercredis aux frontons de nos cinémas péri-urbains, et s’invite même parfois où l’on ne l’attend pas, c’est-à-dire dans des endroits bien. Une dernière précision : à propos d’un film de science-fiction raté, je crois bien qu’on parle de « navet spatial », mais je n’en suis pas vraiment sûr.
nas/im