L’homme invisible : le figurant
Figurez-vous que d’après les dictionnaires spécialisés, « le figurant fait partie de la figuration. » Oh génie ! Oh surprise ! La logique ne nous était que trop rarement apparue aussi évidente… Toutefois, à s’y pencher d’un peu plus près, pas trop non plus (attention à la chute !), il est dans ce drôle de métier des subtilités que vous devez ignorer… Oui oui, je vous assure, même vous ; c’est ce que l’on appelle les degrés de figuration. En premier lieu, le degré zéro : la figuration passive, c’est-à-dire ceux dont on peut seulement dire qu’ils sont là, dans le cadre, histoire de donner vie au décor. Point de raillerie, cette aptitude à une telle transparence frôle le génie : que de tact faut-il pour savoir à ce point disparaître, et cela pour 87,5 euros par jour ! Lorsque les figurants apparaissent en groupe, cela forme une masse, terme technique qui désigne tout simplement la foule. Au-dessus de ce sous-prolétariat cinématographique, il y a le figurant qui doit exprimer une émotion, faire une action ou dire un mot précis, voire dans le meilleur des cas une phrase : il fait ce que l’on appelle de la figuration intelligente, enjoliveuse appellation qui confirme qu’il n’y a, au cinéma pas plus qu’ailleurs, point de sot métier. Ne vous y trompez pas, vous avez affaire ici à l’élite du métier, à la crème figurative dont seuls les rares élus peuvent prétendre à être silhouette, sorte d’aristocratie de la figuration où l’on n’a pas de texte à dire (pratique pour les figurants muets), mais un aspect physique qui nous distingue aisément du lot des autres figurants. L’histoire du cinéma recèle, comme ma grand-mère, de mille anecdotes sur ce demi-métier, mais une seule fois au cours du grand siècle, un figurant a osé se révolter contre sa condition en devenant le centre d’un film[1]. Le cliché du tremplin vers de vrais rôles a fatigué toute une génération d’intermittents du spectacle qui ne peuvent qu’au mieux espérer faire table commune avec les comédiens et les techniciens à la cantine où ils ne pourront s’empêcher de faire bonne figure. En définitive, figurant au cinéma, c’est un peu comme ramasseur de balle au tennis : il n’y a que quand on s’ennuie qu’on les voit.
nas/im
Notes
[1] L’impayable Peter Sellers dans The Party de Blake Edwards en 1968