A la terre ferme, ils préfèrent le ciel, le vide, l’envol — et même la chute : les Arts Sauts présentent leur dernier ballet d’hommes-oiseaux, tout en prodiges et poésie… (lire la suite)
A la terre ferme, ils préfèrent le ciel, le vide, l’envol — et même la chute : les Arts Sauts présentent leur dernier ballet d’hommes-oiseaux, tout en prodiges et poésie.
Ils disent que tout a commencé autour d’un verre entre amis. Qu’ils étaient six, tous trapézistes de haute voltige, animés par une envie commune : sortir le trapèze de l’inventaire des numéros de cirque, et l’ériger en art à part entière. Une première création voit le jour en 1993 : autour d’une structure métallique de vingt mètres dressée en plein air, onze trapézistes voltigent dans le vide aux sons d’un violoncelle et d’une voix lyrique. En France, le public reste perplexe ; à l’étranger, c’est l’enthousiasme.
Les Arts Sauts récidivent cinq ans plus tard, en créant Kayassine : cette fois, le chapiteau de cirque refait son apparition, mais sous la forme inattendue d’un énorme dôme blanc à l’arrondi parfait — comme une bulle de lait surgie de terre. Les spectateurs sont étendus dans des transats, pour mieux profiter du spectacle aérien. La chorégraphie est époustouflante, les corps se croisent et se frôlent en plein vol — la réputation des Arts Sauts devient phénoménale : plus de cinq cents représentations du spectacle sont données à travers le monde, et ceux qui ont assisté à celles de Marseille, en 1999, ne les ont toujours pas oubliées…
Treize ans plus tard, où en sont-ils ? Ils l’ont annoncé, Ola Kala (« Tout va bien ») sera leur dernière création. Les nostalgiques diront peut-être qu’elle n’est pas à la hauteur du mythique Kayassine. Et pourtant : tout là-haut, glissés dans un entrelacs savant de poutrelles, de câbles et d’échelles, comme une peuplade d’oiseaux furtifs dans le fouillis d’une jungle, les dix-sept trapézistes offrent un spectacle d’une générosité et d’une esthétique rares.
Une légère pluie de talc blanc poudroie vers le sol… Comme une coulée de neige annonce le déferlement d’une avalanche, c’est un signal de départ — signal d’un « bouquet » qui n’en finit pas de s’épanouir en plein air. En disposant cette fois leurs trapèzes en croix au-dessus de la piste, Les Arts Sauts multiplient les « frôlements » qui ont fait leur célébrité : corps qui s’élancent simultanément, se croisent et se suivent en plein vol à des vitesses vertigineuses, se jouant du risque permanent de collisions. Corps qui passent incessamment de main en main en tourbillonnant, comme d’autres se passent une balle, et qui deviennent eux-mêmes trapèzes pour se propulser à travers le chapiteau avec une force — une violence — inouïes, presque surhumaines. Où sont leurs limites ?…
« Tout va bien », comme dit le titre — et pourtant, en bas, on est tendus comme des arbalètes sur les transats, le souffle coupé par l’angoisse — que souligne une musique toute en cordes (violoncelle, violon, guitare…), interprétée directement par des musiciens perchés aux côtés des trapézistes.
L’angoisse — et l’extase : car il y a aussi des séquences moins spectaculaires, nimbées de grâce et de poésie. Juste retenus par une sangle, les trapézistes planent silencieusement autour des poutrelles, se posent puis s’élancent dans une même impulsion : comme un ballet d’hirondelles, ils s’envolent au gré de signaux et de repères qui demeurent mystérieux à nos yeux de bipèdes cloués au sol…
La chute ? Elle n’est pas seulement présente dans les esprits des spectateurs : elle fait partie du spectacle. Les hommes-oiseaux des Arts Sauts aiment se moquer de nos rêves d’anges déchus et d’ailes en carton… A moins que la chute elle-même ne devienne un art : piquer la tête la première dans le filet, pour rebondir et pirouetter avec la légèreté d’une feuille d’arbre soulevée par le vent… Car la chute aussi est une fête — pourvu qu’elle soit belle.
Texte : FF
Photo : Philippe Cibille
Ola Kala, par Les Arts Sauts. Jusqu’au 1er/07 au J4. Rens. 0820 000 422.