Le vagabondage du Merlan s’étirait le temps d’un week-end au théâtre du Gymnase. Sept strip-teases chorégraphiés pour six femmes et un homme avec en tête d’affiche, Caterina Sagna, Wim Vandekeybus et Alain Platel… (lire la suite)
Le vagabondage du Merlan s’étirait le temps d’un week-end au théâtre du Gymnase. Sept strip-teases chorégraphiés pour six femmes et un homme avec en tête d’affiche, Caterina Sagna, Wim Vandekeybus et Alain Platel.
Le sous-vêtement est une apparence, un leurre, un détournement du regard. Que se passe-t-il derrière ou dessous ? On ose imaginer, on se prend à fantasmer, la main avance, glisse le long de la cuisse par l’index, le majeur puis la main toute entière. L’âme s’égare, le temps s’écoule par micro-seconde, le cœur s’emballe. Le strip-tease dessine un parcours imaginaire, il embrasse l’espace entre le corps nu et le regard inquisiteur. Qu’en est-il d’une transposition sur la scène, dans un lieu officiel chargé d’histoire ? Au regard de la tragédie grecque, le « strip » attrape les dieux par la main et les invite à y regarder de plus près. Qui est donc cet être frêle que l’on vient chercher dans la foule ? Les cheveux tirés sous l’effet d’une brosse, habillée dans une tenue d’écolière, les genoux en dedans, les mains qui se tiennent pour ne pas faire de bêtises (Sky van der Hoek / Caterina Sagna). Et cette femme vêtue d’un fourreau de soie (Caroline Lemaire / Alain Platel) ? Elle avance sur une ligne, dépliant les articulations de la jambe dans une lenteur suave et irréelle, les vêtement tombent comme la chute d’une feuille, là où l’on commençait à regarder ailleurs. Les gestes s’étirent, le temps nous taquine, il nous plonge dans le vide pour mieux saisir la simplicité d’un geste, le minimalisme d’un déshabillé. On connaît le travail d’Alain Platel par le souvenir de pièces pleines d’énergie, de cris et de révolte, à l’image du Terrien qui explose en vol dans la violence du quotidien (Bonjour Madame, Moder en kind, La tristeza complice). La folie est une chorégraphie : un jet de projectile, un corps qui se jette contre le mur… avec Belladonne, Alain Platel utilise une énergie inverse, il invite le spleen de Serge Gainsbourg sur les bancs de l’orchestre, il choisit une interprète filiforme, dont la lenteur et la longueur infinies s’apparentent au souffle sur les roseaux d’une aquarelle japonaise. Petite à petit, elle disparaît derrière des jeux de rideau, petit à petit, il ne reste que les souliers de Betty Boop et la chute d’une culotte en soie noir. L’autocensure est le garant de l’érotisme. Dans notre quotidien, le strip-tease est avant tout une histoire d’argent et de plaisir monnayé. La femme se donne à voir dans une boîte, derrière une vitre, en vrille sur une balustrade. Elle joue la pause du boa, elle s’étire à n’en plus finir pour mieux nous montrer ce que l’on est venu chercher. Dans Belladone, le strip-tease parle (Delphine Clairet / Vera Montero), il règle ses comptes avec la petitesse des hommes puis les invite à regarder leur femme sous un autre angle, dans une autre attitude, à la manière d’une analyse. Là, où oser ne relève plus de la culpabilité. Belladonne est une œuvre collective, une concertation entre sept chorégraphes et sept professionnels qui dévoilent leur sexe par la digression du théâtre, utilisant les atouts de la scène pour donner à la nudité des airs d’ironie (la comédie) et d’une beauté étrange (l’aura). Encore une fois, le théâtre étend son pouvoir au-delà de la simplicité touchante du cinéma et du cabaret. Il nous offre, dans la multiplicité de ses propositions, un moment d’égarement, une réflexion concertée sur le signifiant du corps et l’engagement de l’interprète. Il emmène les formes sur des plages inconnues, dessinant de nouvelles peintures pour la tendance de demain.
Texte et photo : Karim Grandi-Baupain
Belladonne était présenté venredi 26 & samedi 27 au Théâtre du gymnase dans le cadre de vagabondage du Merlan