Slam affûté
Pas de session au Dôme, ni de star nationale, pourtant le slam marseillais est bien vivant et le proclame haut et fort : « Ce n’est pas parce qu’on n’a rien à dire que l’on va fermer nos gueules. » (1)
Moins trois cent soixante-trois avant Jésus-Christ. Faisant jaillir par la parole ses convictions et ses sentiments, ses doutes et ses angoisses, les projetant vers l’autre de sa voix et de son corps, avec une force propre à l’atteindre au cœur, au ventre et à la tête, « l’Orateur », comme on l’appellera désormais, subjugue son auditoire comme jamais auparavant : Démosthène devient le premier grand slameur de l’histoire. Une grosse poignée de siècles plus tard (1986), un dénommé Marc Smith, poète de son état, reprend le concept dans un bar de Chicago (le Green Mill) en le codifiant de façon aussi précise qu’impérative : un jury, un délai de trois minutes maximum, des textes écrits par l’orateur, pas de son ni de costumes ni de jeux de lumières, et un verre offert à tout participant : le slam moderne est né.
Vingt ans plus tard, le grand public connait le phénomène surtout grâce à des films comme Slam de Levin, sacré à cannes en 1998, ou 8Miles d’Eminem, et à des « transgressifs » comme Abd el Malik ou Grand Corps Malade, qui n’hésitent pas à coller leurs textes sur de la musique et à user des feux de la rampe (souvent d’ailleurs avec bonheur). Le slam devient même le chouchou des communicants (banquiers, assureurs, marchands de foie gras…) qui, pour cibler les « djeuns », le jugent moins « relou » que le rap, son cousin « caillera ». Le slam bizness se porte bien, merci.
Paradoxalement, Marseille, « ville de tchatcheurs », ne sera pas une capitale du slam à l’instar de Paris ou de grandes villes du nord comme Nantes, Rennes ou Lyon. Ici les pionniers vont s’appeler Nevchehirlian et Ahamada Smis, et le Cours Julien tiendra une fois de plus son rôle de moteur avec des salles comme le Balthazar, le Poulpason ou El Ache de Cuba, mais sous une forme moins académiquement formatée.
Souvent critiquée pour son laisser-aller, la cité phocéenne jouera en effet des qualités de ses défauts et dans ce cas comme dans d’autres, aura cette salutaire tendance à essentiellement voir dans une règle le moyen de la contourner. Le rituel du verre offert à celui ou celle qui aura su transcender « la boule dans le ventre » restera quant à lui immuable.
Aujourd’hui, une nouvelle garde a pris la relève et s’est organisée, de nouvelles scènes sont venues compléter l’offre, à Marseille (les Argonautes, le Courant d’Air Café…), comme dans ses alentours (Marignane, Aubagne, Toulon…).
Si une tendance aux scènes compétitives (notation, temps limité) semble se dessiner, le côté « maillon faible » faisant toujours recette, un slam plus libertaire lui tient toujours amicalement compagnie. L’association Slamarseille est née du regroupement de ces énergies et s’emploie avec passion à élargir le cercle.
On a souvent cité Marseille comme ville de mélanges, mais ceux qui y vivent savent à quel point la mosaïque peut être fortement cloisonnée. Que l’on apprécie ou pas la poésie et les cris d’urgences, une session de slam est avant tout un vrai moment de brassage entre sexes, milieux sociaux et générations, un chaudron au moins aussi efficace que le Vélodrome pour réaliser une vraie mixité.
LC
Prochaines sessions : le 10/11 au Théâtre de la porte d’Italie (Toulon) ; le 12, « Tchatch’o’thérapie ! » à El Ache de Cuba (108 cours Julien, 6e) ; le 19 à Espace Culturel Saint-Exupéry (Marignane) et le 20 à La Casa d’Oli (Aubagne).
Rens. http://slamarseille.blogspot.com
- Slogan de l’association Slamarseille[↩]