L’entretien | Aurélien Pitavy
Tout serait-il reparti pour un tour pour Charlie Jazz ? La programmation automnale est bien là, avec une qualité toujours au rendez-vous. Aurélien Pitavy, le directeur artistique de l’association vitrollaise, a bien voulu répondre à nos questions
Quel est votre rôle en tant que directeur artistique ?
Je dois impulser le projet artistique et culturel dans sa globalité, qu’il s’agisse de la saison de concerts ou bien du festival. J’aime à penser que, si j’ai une ligne artistique, elle consiste à raconter des histoires en prenant pour support le jazz actuel. C’est généralement ce que j’essaye de faire dans la programmation trimestrielle, mais aussi pendant le festival. Cette année, concernant ce dernier, c’était différent parce que c’était une édition Covid : d’habitude on est sur trois soirs ; là, on a dû tourner sur quatre soirées, pour essayer de recoller certains pots cassés par les confinements, les fermetures, etc. Sinon, je dois aussi proposer des choses liées à l’action culturelle, en particulier avec les écoles et les collèges de Vitrolles. Ou bien des résidences d’artistes. Bref, je dois écrire le projet de l’association et le mettre en application.
Avez-vous une ligne artistique en matière de programmation ?
L’association me laisse une totale liberté dans mes choix de programmation. C’est très personnel, la programmation ! D’ailleurs, toutes les structures qui proposent du jazz actuel n’ont pas le même fonctionnement. À Vitrolles, l’association a choisi de se doter d’un directeur artistique et de lui confier cette mission, alors qu’ailleurs, la fonction de directeur artistique peut être distincte de celle de programmateur, ou bien il peut y avoir une commission de programmation. J’essaye de montrer un éventail très large de ce que peut proposer le jazz actuel. Je peux me permettre de proposer une programmation pointue au Moulin, comme par exemple avec le trio Space Gavalchers, dont je doute que beaucoup de gens connaissent le travail. Mais c’est un risque que j’aime prendre ! Vraiment, je me bats pour faire découvrir des artistes. Pour moi, le Moulin doit rester un lieu de découverte artistique fort. Même pendant le festival d’ailleurs : la scène du Moulin est là pour faire le lien entre artistes à découvrir et artistes connus et reconnus.
Est-ce que cela ne risque pas de créer une hiérarchie entre artistes ?
Je veille vraiment à ce qu’il y ait un équilibre dans la programmation. Pendant le festival, il y a cinq formations par soirée. Je sais que pour les puristes, ce qui est important, c’est justement ce qu’il se passe sur la scène du Moulin. C’est un peu de cet aspect innovant que j’essaye de garder pendant la saison, tout en essayant de garder en perspective l’idée que le public, on le retrouve pendant le festival et que là, on essaye de proposer un parcours. Je pourrais me passer des fanfares en ouverture sous des prétextes de coût ou de difficultés d’organisation, mais cette expression musicale étant aux fondements de l’histoire du jazz ; j’estime que le jazz actuel ne serait pas ce qu’il est sans elle ! Je prête autant d’attention aux têtes d’affiche qu’aux premières parties et aux afters. Quant à la programmation au Théâtre de Fontblanche, ou à la salle Guy Obino, il s’agit effectivement de mettre la jauge en adéquation soit avec la réputation dont peut jouir un artiste, soit avec certaines contraintes techniques.
À un moment donné, pourtant, il faut bien sélectionner…
Oui et cela génère une grosse frustration pour moi. Dans le jazz actuel, il y a une grande qualité et, de plus en plus, des propositions très différentes. Il y a des musiciens avec qui j’ai des attaches très fortes, même sur un plan humain. J’essaye d’aboutir à un équilibre en termes de propositions artistiques et, parfois, je m’interdis même de programmer un coup de cœur. En ce moment, je suis sur des reports de programmation. Par exemple, Jean-Marie Machado, qui est un pianiste dont la réputation artistique n’est plus à faire, c’est la quatrième ou cinquième fois que je le reprogramme, cette fois-ci au théâtre. Mais dans ces conditions, c’est vraiment dur de créer une cohérence. Je crois néanmoins que je la trouve dans le côté militant de l’association, qui s’inscrit vraiment dans une tradition locale de résistance à l’extrême-droite. Le fait de programmer le projet Révolution de Corneloup en début de cette saison de reprise, ça avait un sens fort pour nous. On s’appuie aussi sur des réseaux pour aider de tels artistes, souvent de manière informelle, comme avec le Périscope à Lyon ou l’AJMI en Avignon. Et on fonctionne aussi en bonne intelligence avec le Cri du Port et le Petit Duc. Mais hélas, le Covid a coupé beaucoup d’initiatives, comme par exemple notre travail en direction du jeune public qui, pour nous, est notre public de demain.
Quelque part, pour vous, le jazz est une musique politique…
En effet ! Mais il faut que ça ait un sens par rapport à la programmation et que ça concerne un évènement qui nous dépasse. Comme lorsque j’ai fait en sorte de donner la parole à SOS Méditerranée : j’ai invité l’ONG à prendre la parole avant le concert de Dhafer Youssef pendant le festival et je crois que c’était un moment fort. Et puis, dans cette musique très libre qu’est le jazz, c’est vrai qu’il y a toujours un côté concerné par ce qui nous entoure.
Allez-vous continuer les projets de résidences d’artistes ?
Évidemment. C’est très important pour moi. On va poursuivre le travail avec Perrine Mansuy. On va également accueillir un projet de création de la bassiste Leila Sondevilla, avec la chanteuse Émilie Lesbros…
Propos recueillis par Laurent Dussutour
Rens. : www.charlie-jazz.com
La Saison du Charlie Jazz
En matière de rattrapage, la session automnale de l’association vitrollaise se pose là. Rattrapages festivaliers avec les têtes d’affiche comme le contrebassiste virtuose et populaire Avishaï Cohen, et le fantasque et émouvant pianiste cubain Omar Sosa, toujours friand d’expériences métisses. L’immense salle Guy Obino (du nom du maire qui avait succédé à ces ordures de Mégret) accueillera des premières parties d’exception, comme le trio Rouge, lauréat du dispositif Jazz Migration, dont le répertoire est une somptueuse invitation au voyage, ou encore le quartet du contrebassiste-violoncelliste Lars Danielsson Liberetto, pour une session de jazz aux accents scandinaves et néanmoins créolisés (avec le fabuleux pianiste d’origine antillaise Grégory Privat).
Le domaine de Fontblanche ne sera pas en reste. Au théâtre, le projet Majjaka (« le phare » en finnois) de l’élégant pianiste Jean-Marie Machado pourra se déployer en toute sensualité, s’exprimant, entre autres, avec le percussionniste envoutant Keyvan Chemirami. Au Moulin proprement dit, l’antre métropolitain des vibrations d’un jazz tourné vers l’innovation permanente, le sax’ baryton François Corneloup a paraît-il fait vibrer intensément les murs de l’édifice. On se doute que le trio déjanté Space Gavalchers devrait titiller les sens dans un set aux accents improbables, avec une formation qui ne l’est pas moins (violon, percussions, violoncelle), au service d’un groove hypnotique. Le pianiste expérimentateur Bruno Angelini nous convie à une immersion dans ses racines étatsuniennes, avec son trio où électronique et acoustique mixent racines afro-américaines, contre-culture et psalmodies amérindiennes. Enfin, à quelques encablures de l’hiver, ce sera au quartet du batteur poète Christophe Marguet qu’il incombera de nourrir nos désirs d’émancipation (soulignons la présence à ses côtés de l’immense contrebassiste libertaire Hélène Labarrière, redoutable improvisatrice reconnue comme une boss de l’instrument).
Avec une telle programmation, Charlie Jazz s’impose comme un foyer incontournable des notes bleues dans la métropole provençale.
Laurent Dussutour