L’entretien | Cathy Heiting
Cathy Heiting, la contre-diva des scènes jazz et plus encore, sort ces jours-ci un nouvel EP, Moving. Et, manifestement, du mouvement il y en a dans ce nouveau répertoire, qu’elle et ses musiciens ont désiré placer sous le signe du groove. Rencontre.
D’où vient ce renouvellement de perspective esthétique ?
J’adore le groove du troisième millénaire : Erykah Badu, Jill Scott ou même La Chica et Gabriel Garzon-Montano. Cela ne signifie pas pour autant que j’abandonne le jazz plus convenu puisque je continue à tourner avec mon projet Jazz & Wine et avec un quartet. Si l’on ajoute à ça Le Conte du petit bois pourri, dont la musique a une orientation plutôt pop-funk et donc ce nouveau répertoire, avec Moving, j’ai quatre projets qui tournent actuellement. J’avais déjà esquissé un pas vers le groove avec Little Groovy World en 2013, mais, là, j’ai essayé d’aller jusqu’à une réalisation plus accomplie. J’ai aussi voulu valoriser les goûts musicaux du batteur, Gérard Gatto. C’est un travail basé sur l’expression des émotions. J’ai eu la chance de bénéficier d’un soutien du réseau des musiques actuelles, avec des lieux comme le 6mic ou bien le Kfé Quoi, ainsi que d’avoir un attaché de presse particulièrement efficace dans ce milieu, Lucas Bouiller. Cela étant, je reste fondamentalement une chanteuse de jazz.
Pourquoi avoir choisi de chanter en anglais et en espagnol ?
L’anglais, c’est pour faire passer des messages qui relèvent davantage de l’intime. Je suis très sensible à la complexité des rapports humains, aux contrastes qu’ils peuvent générer, qu’il s’agisse de la joie ou bien du désespoir. Comme sur Queen of Hope, qui est une description de l’impuissance que je peux éprouver face à une amie sous l’emprise d’un homme violent. Je m’adresse à cette amie et je fais part de sa sidération aussi bien que de la mienne sans pour autant être dans le jugement car je ne peux pas lui dire de partir. C’est hélas un processus connu et reconnu. J’ai choisi l’espagnol pour des propos aux consonances plus politiques et sociales, comme sur Animo (courage) où, à partir de la figure du poète assassiné Federico Garcia Lorca, j’appelle au combat pour nos libertés. Pour ce morceau, j’ai convié Sarah Moha, une danseuse, à partager la scène avec nous lors de notre résidence au 6mic : sa présence, avec sa robe noire à volants, a vraiment apporté un plus à la prestation. Avant même qu’elle soit avec nous sur scène, je la voyais.
Comment les morceaux de ce nouveau répertoire ont-ils été conçus ?
Généralement, je propose des morceaux avec une trame et une tourne et les arrangements se font avec les musiciens. J’ai une idée assez précise de là où je veux aller. Cela étant, les musiciens ont toujours leur mot à dire. Ainsi, Renaud Matchoulian, le guitariste, a vraiment mis sa patte sur le riff d’Animo. Sylvain Terminiello, le bassiste, a été particulièrement investi sur Joy, avec cette introduction voix/basse électrique si particulière, qui provient d’un travail antérieur voix/contrebasse effectué auparavant avec lui. De fait, les musiciens avec qui je tourne sur Moving peuvent à peu près tout jouer ! Pour la voix, j’ai toujours des intentions précises avec des incursions dans les registres graves et des moments lyriques car je tiens à rappeler que je viens du classique, de l’opéra. Avec ce projet, en fait, je reviens à mes premières amours musicales : j’ai commencé la musique sur le tard, à vingt-six ans, et c’était immédiatement dans un répertoire classique alors qu’avant j’étais une vraie fan de funk et de groove. Pour moi, le groove, c’est la sensualité : il faut que ça ondule et que ça donne envie de danser. On a bénéficié du soutien du Petit Duc pour la prod’ : je suis accompagnée par la structure avec laquelle j’ai créé un projet par an de 2017 à 2020. On a enregistré au Studio Eole de Ben Rando, à Rognes, et c’est Patrice Quilichini, dit « Kick », qui a assuré la prise de son, le mixage et le mastering. On avait donné une représentation en live streaming en novembre 2020, en pleine crise sanitaire. Quelque part, cette dernière nous a raffermis, nous, les artistes, en nous plongeant dans le doute : perdre le public, c’était inimaginable, et on a dû s’interroger sur ce qu’il se passe entre ce dernier et nous. J’aime tutoyer le public, d’ailleurs : pour moi, c’est comme une entité amie que j’ai l’impression de quitter à la fin de chaque représentation.
Propos recueillis par Laurent Dussutour
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Le Conte du Petit Bois Pourri : le 20/05 à l’Espace Nova (Velaux).
- Cathy Heiting : le 28/07 au Parc de la Maison Blanche (10e)
Pour en (sa)voir plus : www.cathyheiting.com