L’entretien | La Chica
La Mesón a donné rendez-vous à La Chica pour trois soirs de carte blanche, début juin. Vibration des sons, corps en stop motion… La Chica crée un univers rien qu’à elle, tant en musique qu’en images. Profonde alliée des femmes, de la nature et des âmes, sa voix nous transporte. Nous avons eu la chance de la rencontre.
La Loba, titre et nom de ton dernier album, nous évoque le roman Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés. Y a-t-il un rapport ?
Carrément, c’est une légende que je connaissais depuis petite, à l’oral, et j’ai eu la surprise de la redécouvrir quand j’ai découvert ce bouquin. J’étais très contente que quelqu’un relate cette légende avec une interprétation. J’ai gardé cet écrit avec une impression d’intuition et, elle, elle est arrivée à mettre des mots sur des choses que je sentais, et j’ai trouvé ça génial. Plus j’avance dans son bouquin — car à chaque fois je le relis puis je l’oublie, puis je le relis —, plus retombe sur des mots, des phrases qui résonnent beaucoup. À un moment où j’ai eu besoin de ranimer la flamme, refaire vivre ce feu et me faire revivre après avoir eu l’impression d’être morte de l’intérieur, je suis allée chercher ce conte et j’ai eu envie de faire un morceau qui s’adresse aussi aux femmes de manière générale, pour leur envoyer cette énergie, pour leur dire qu’on passe tous par des épreuves de vie particulières, spécifiques aux femmes, et quoi qu’il arrive, on a un énorme pouvoir dans l’accroche aux racines, au fait de se reconnecter à l’instinct animal, dans le fait d’accepter ce côté sauvage et un peu irrationnel qu’on a. Donc, je suis allée piocher des mots dans son texte. C’est un morceau pour aller chercher le feu, pour redonner une vie aux corps éteints comme le fait La Loba. C’est à la fois un morceau pour revivre, un cri d’énergie lancé aux femmes et un hommage à Clarissa pour son extraordinaire bouquin.
Dans le clip de La Loba, pourquoi avoir choisi la couleur du sang ?
On a choisi la couleur rouge dans un premier temps, et le sang, pour la réalisatrice et pour moi, ça représente le sang de la vie. Le sang est très souvent associé à la mort, parce qu’il est associé à la guerre mais je crois que pour nous les femmes, il est associé à autre chose. Déjà, il est associé au sang menstruel, à la création de la vie, c’est aussi la couleur de l’amour, de la passion, de la force et en fait pour moi, ce sang là, il n’est pas du tout négatif dans le clip. Il montre tout simplement l’épreuve de vie par laquelle je passe à ce moment-là et qu’il est parfois nécessaire de se voir mourir pour pouvoir renaître.
La fin du clip est, pour moi, comme une renaissance, quand j’ouvre ces rideaux qui sont presque comme une vulve, je sors, je vois la lumière et le cycle va pouvoir recommencer. Le cycle vie — mort — vie…
Est-ce que tu fais le lien entre ta quête identitaire et ta quête musicale ?
Bien sûr, c’est absolument lié, d’ailleurs la quête identitaire, elle, n’avance qu’à travers la musique, la recherche musicale et le développement de l’art autour de ce projet. Sans ça, je crois que j’aurais eu beaucoup plus de mal à évoluer et à accepter qui je suis. La recherche perpétuelle d’association à un groupe défini, en France ou au Venezuela : comment faire pour vivre le cul entre deux chaises ? En fait, on crée un nouveau paysage. Je ne vais pas représenter un nouveau territoire, ni un drapeau, on va essayer de représenter quelque chose de plus intéressant et de plus personnel. Ce n’est pas quelque chose qui m’est apparu comme évident dès le départ, c’est une conclusion que j’ai pu faire après avoir composé des choses qui ont raisonné d’une certaine manière. À force qu’on me pose des questions, à la base, je ne savais pas expliquer ce que je faisais. Puis, quand les médias ont commencé à me dire « Pourquoi ci ? Pourquoi ça ? Pourquoi ne pas proposer quelque chose de déjà connu ? Pourquoi ne pas proposer de l’électro cumbia ? »… C’est finalement une vision très occidentale de ce qu’il se passe en Amérique Latine : d’une part pour moi ça n’avait aucun intérêt et d’autre part, j’avais autre chose à dire. Je ne vais pas représenter le folklore vénézuélien alors que je ne vis pas là-bas, je ne vais pas clamer sur tous les toits que je défends ce folklore alors qu’en fait j’ai envie de représenter quelque chose qui va bien au-delà de ces frontières.
Dans le clip Oasis, les regards se superposent. Quelles sont tes influences visuelles ? Qui t’a aidée à réaliser ?
Il y a eu plein de références, je voulais faire une présentation de ce qu’il peut se passer dans la tête de quelqu’un. Quand tu as quelqu’un en face de toi, tu ne sais pas vraiment ce qu’il se passe dans son imagination. Ici, c’est comme si on pouvait voir tout ce qu’il se passait, comment je vais être : dark ou beaucoup plus lumineuse, comment ça peut partir en vrille très vite. Et je me disais que pour illustrer ça, il fallait qu’on utilise des références artistiques que j’aime dans la peinture, dans le dessin, le graffiti, le street art, le collage. Dont Frida Khalo fait partie, ou Jean-Michel Basquiat, Keith Haring… L’art brut, l’art de rue, le dessin, l’art primitif, préhispanique, précolombien, le dadaïsme, tout ça apparait dans ce clip. J’y ai travaillé avec le collectif Temple Caché et la réalisatrice Marion Castéra, qui sont basés à Montpellier, et que j’adore. Avec eux, on a aussi réalisé Be Able ou La Loba.
Des réalisateurs qui t‘inspirent ?
Jodorowsky, David Lynch, Emir Kusturica. Arizona Dream est mon film préféré. J’aime le cinéma tableau, comme un plan séquence où s’affiche le mood et où tu comprends immédiatement tout ce qu’il se passe avec peu de choses. Dans le clip de 3 & Hoy, il y avait quelque chose de beaucoup plus mystique, les références sont moins cinématographiques, elles utilisent plutôt la magie du quotidien, l’existence du tarot, comme si je me faisais une petite lecture qui allait m’aider à avancer pour l’étape suivante.
Tu évoques toujours l’eau et la nature dans tes morceaux, peux-tu nous en dire davantage à ce propos ?
L’eau est vraiment un élément magique et je suis fascinée par les éléments de manière générale. Je ne crois pas en la politique, je n’ai pas de religion officielle… En revanche, je crois en l’art et en les éléments, et en leur impact immédiat sur nous. Au-delà de ça, en l’énergie qui circule et comment elle régit nos relations. Je passe beaucoup de temps à observer les rapports humains, comment nous sommes régis par tout cela sans s’en rendre compte.
Nous terminons avec ton dernier album remixé sorti récemment, quel a été ce choix ?
J’adore le principe des remixes parce que c’est continuer à laisser vivre et se transformer les morceaux, mais à travers l’oreille de quelqu’un d’autre. Parmi les producteurs, il y a Form avec qui j’ai réalisé l’album de La loba, ça les démangeait de faire une version électro. Il y a 20syl de Hocus Pocus, Montoya, Khotton Palm, Uji, Fakear, Le Train Fou… J’avais envie que ce soit international. Cela s’est fait assez naturellement. J’adore ce principe en tout cas.
Propos recueillis par Zac Maza