Travail de concert(s)
Les musiques actuelles en pays d’Aix sont un vaste chantier en construction. Dans ce large territoire qui manque cruellement de propositions musicales, certaines structures s’investissent avec pugnacité. Focus sur l’une d’entre elles, Comparses et Sons, qui a fait de la découverte artistique son crédo.
En 2014, l’Arcade PACA et l’IMPGT (Institut de Management et de Gouvernance Territoriale) ont étudié la place des musiques actuelles sur le territoire du Pays d’Aix, en abordant le soutien à la création musicale comme la diffusion de concerts. Une concertation des acteurs et des publics bienvenue à l’approche de l’ouverture d’une salle de concert aixoise d’ici 2017. Le constat est alarmant : un manque dans tous les domaines face à une demande criante.
Frédéric André, l’un des fondateurs de l’association Comparses et Sons, organisatrice de concerts à Venelles notamment, nous délivre son regard sur le territoire et les projets de son association, qui fête son dixième anniversaire cette année : « Il y a un manque cruel d’équipement, de proposition musicale, de communication au niveau de la communauté du Pays d’Aix. Les ambitions et le budget doivent être définis au niveau politique. »
L’étude dirigée par Edina Soldo fait émerger deux principales requêtes : une demande de programmation émanant du public et une demande de structures de la part des opérateurs. Aujourd’hui, il n’y a pas une salle correcte dédiée à la diffusion de concerts, hormis le Jas Rod aux Pennes-Mirabeau, géré par l’association Antre 2 Live, qui survit malgré des difficultés financières et statutaires révélant un manque d’engagement politique notable. « Trente-six communes, plus de 360 000 habitants : c’est un gros territoire, et pourtant il n’y a pas de lieux équipés, ni de politique de médiation, de diffusion ou d’accompagnement. (…) L’arrivée d’un haut lieu budgétivore va créer un appel d’air sur le territoire, si ça ne l’assèche pas. On ne peut pas savoir si les subventions et les aides allouées aux structures préexistantes seront les mêmes. Il y a toujours cette peur de l’inconnu, du nouvel arrivant... »
Fred précise qu’il ne s’agit pas là de misérabilisme mais bien d’un constat réel. L’association Comparses et Sons a organisé plus de cent cinquante concerts en dix ans et fonctionne toujours exclusivement grâce au bénévolat. « On n’a pas de frais fixes car nous n’avons ni local, ni salariés. L’intégralité du budget part dans la production de concerts, donc là, on se frotte à un problème de professionnalisation et de structuration de l’association. Même si c’est une affaire qui roule, on veut monter des projets et avancer. Nous sommes reconnus pour notre expertise, notre savoir-faire et les pouvoirs publics se doivent de prendre place au sein de cette démarche. »
Alors quelle serait la solution pour voir fleurir sur le territoire aixois une programmation musicale riche, correspondant à la demande ? Là est toute la force de l’association, qui a pour objectif de réfléchir de manière collective, avec les autres structures déjà en place. « A plusieurs, on peut mieux faire entendre qu’on est là, qu’on a une expertise et des choses à dire. Tisser des liens avec les autres acteurs culturels permet de démultiplier la force de frappe, mais aussi de diviser les risques. Nous devons réfléchir ensemble à la circulation des publics et comment rendre la communication de chacun pertinente en la pensant de manière large, collective. »
Cette volonté de mutualisation, une base bénévole solide et des programmateurs inspirés font du projet de Comparses et Sons une bouffée d’air frais dans le paysage musical local : « Notre programmation est singulière, mais pas clivante. (…) Nous avons voulu axer cette rentrée sur une programmation hip-hop avec des artistes qui n’hésitent pas à décloisonner les styles musicaux, ce qui n’est pas inné dans notre pays de tradition “chanson”. Un rappeur et des jazzmen, c’est encore nouveau alors qu’aux Etats-Unis, ça a quasiment toujours existé. Le hip-hop n’est pas un courant musical qui s’est enfermé dans ses propres clichés, on a longtemps stigmatisé cette musique comme celle de la banlieue, délivrée par des fils d’immigrés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. (…) On ne réfléchit plus avec l’idée d’une programmation qui va remplir, on pense avant tout à se faire plaisir. De toute façon, il n’y a pas de recette miracle. On ne voulait pas rentrer dans une espèce de consommation de la musique. Un disque a une durée de vie médiatique de quinze jours : soit tu cartonnes, soit tu l’enterres. Le fait de programmer des artistes sans se préoccuper exclusivement de leur actualité est une liberté que l’on se permet. Ce n’est pas un acte d’héroïsme, car nous n’avons pas la responsabilité d’une équipe salariée ; on peut se permettre de se planter, notamment parce qu’on a une structure bénévole, alors autant proposer une sélection singulière. »
Les Comparses préparent de nouveaux projets ambitieux. Dans les papiers, la création d’un temps fort dont la programmation serait construite par un groupe connu de l’association : une programmation participative en somme. L’idée est encore de décloisonner, de créer du lien entre le producteur et les artistes au-delà d’un simple contrat, en impliquant les musiciens dans la réussite du concert. De gros événements en perspective, mais également la volonté de créer une proximité artiste/public en mettant à l’honneur le solo dans une scénographie intimiste, avec des hommes-orchestres ou des artistes solistes comme Mekanik Kantatik et Tigran Hamasyan. « Le concept d’homme-orchestre a été dépoussiéré ces dernières années, ce sont des multi-instrumentistes qui confrontent instruments traditionnels et nouvelles machines, rendant cette écriture vivante. »
La lumière est ainsi faite sur ceux qui habitent les coulisses et portent à bout de bras la scène, littéralement. L’association Comparses et Sons fête dix ans d’activisme musical et on ne peut que lui en souhaiter (au moins) dix de plus.
Elise Lavigne
Les 10 ans de Comparses et Sons, avec Guts et Mo Kolours : le 1/11 à la Salle des Fêtes de Venelles.
Rens. : 04 42 54 93 10 / www.venelles.fr/culture/
Pour en savoir plus : www.comparsesetsons.fr