Les 20 ans des Salins
L’Interview
Gilles Bouckaert (directeur du Théâtre des Salins)
Le Théâtre des Salins de Martigues est l’une des soixante-dix scènes nationales françaises et avec, celle du Merlan, des Bouches-du-Rhône. Sa mission est d’être un lieu de production et de diffusion de la création contemporaine dans le domaine du spectacle vivant. Le 10 octobre, de 16h à minuit, de la cour aux terrasses en passant par le grand plateau, c’est la fête pour les vingt ans du théâtre.
L’occasion pour Gilles Bouckaert, son directeur depuis deux ans, de commenter avec nous l’album de jeunesse de ce théâtre qui bénéficie d’une belle réputation locale et nationale.
Que faisiez-vous il y a vingt ans ? Et que programmiez-vous ?
J’étais le programmateur artistique de la Scène Nationale de Maubeuge. C’était la grande époque des créations de Robert Lepage, de Saburo Teshigawara, de Bill T. Jones, de grands noms internationaux qui ont pour la plupart démarré à Maubeuge. Et à peu près vers cette époque-là, je m’occupais d’un festival de danse où Bianca Li, Akram Khan, Sidi Larbi Cherkaoui ont eu leurs premières dates en France. Donc ce ne sont que de beaux souvenirs pour moi.
Il y a vingt ans, connaissiez-vous le Théâtre des Salins ?
Oui car la création d’un théâtre est toujours un moment important, qui a une renommée à travers la France. Nous étions donc très attentifs à ce qui allait s’y passer. Au départ, je n’y suis pas venu car je ne connaissais pas Laurent Ghilini, le premier directeur, qui était un peu en retrait du réseau des scènes nationales. J’ai plus suivi les saisons dirigées par Annette Breuil, qui a pris sa succession. Je la connaissais très bien lorsqu’elle était au Trident, la scène nationale de Cherbourg. Pendant que j’étais à Maubeuge, puis à la Maison des Arts de Créteil où j’ai poursuivi ma carrière, nous avons fait des partenariats sur des tournées françaises lorsque nous nous intéressions aux mêmes spectacles.
Comment définiriez-vous les trois périodes des Salins : celle de Laurent Ghilini, celle d’Annette Breuil et la vôtre ?
Elles sont essentiellement marquées par une volonté de la direction. Ce qui est normal car un directeur est aussi le directeur artistique de la maison et il y apporte forcement sa couleur.
Au départ, avec Laurent Ghilini, il s’agissait d’un théâtre assez classique dans lequel je ne me retrouve pas, sans que ce soit une critique. Enfin… j’exagère. Je vois (il feuillette les premiers programmes) Bianca Li que j’ai toujours suivie et que j’ai fait venir à mon arrivée aux Salins car je suis assez fidèle. Carolyn Calrson, ou la compagnie La La La Human Steps…
Il me semble que l’on a rassemblé un public « d’initiés » à l’intérieur du théâtre et que l’on s’est coupé du public du Festival populaire de Martigues, qui existait avant, a accueilli des grands noms et pour lequel la ville a décidé de créer ce théâtre. Un théâtre au cœur de la ville, ce qui se ressent dans l’architecture et dans ce que les habitants de Martigues peuvent encore en penser, en se disant « ce n’est pas pour nous ».
L’arrivée d’Annette Breuil a permis d’ouvrir le théâtre sur la ville et à tous les publics. Par exemple, dans les premières saisons, il n’y avait pas de spectacle jeune public. Annette a insufflé un mouvement, par des actions dans les établissements scolaires et avec d’autres structures culturelles de la ville. Cette ouverture est plus dans mon esprit, et correspond à ce que j’ai envie de faire et ce que j’ai toujours fait. De ce fait, je me retrouve davantage dans la continuité d’Annette que dans celle des origines de ce théâtre.
Pour la journée anniversaire, vous avez associé les acteurs locaux. Est-ce dans le but de vous réapproprier le passé ou afin d’inscrire les Salins dans une ouverture à tous les publics, avec une résonnance citoyenne ?
Pour moi, notre métier est de créer le lien entre les artistes et le public. Sans l’un et sans l’autre, nous n’existons pas.
Le 10 octobre, nous allons donc à la fois laisser la place pour le public, qui vient nombreux depuis le début, et aux gens qui ont fait ce théâtre. Je fête l’anniversaire du théâtre comme je fêterais le mien : j’invite mes amis en leur disant : « Venez, si vous êtes libre. Si vous avez envie de jouer de la musique, de la danse, vous faites ce que vous voulez ! » C’est vraiment dans cet esprit là. Ma maison est avant tout la vôtre.
Durant la saison, nous accueillerons aussi les artistes qui ont marqué les vingt dernières années et qui marqueront sûrement les vingt prochaines comme Romeo Castellucci (Go down, Moses) ou, pour l’ouverture de saison, Mourad Merzouki, qui a été l’un des premiers à faire passer le hip-hop de la rue aux théâtres. Des évidences aujourd’hui qui ne l’étaient pas à l’époque et qu’il a fallu défendre.
Je pense aussi aux vingt années à venir, voire plus, en faisant découvrir de jeunes metteurs en scène comme Thomas Joly (Richard III), sans doute l’un de nos grands noms de demain.
Comment voyez-vous évoluer le théâtre des Salins et la scène artistique internationale ?
Je pose déjà des jalons avec Mourad Merzouki qui nous montre toujours du hip-hop dans le théâtre, mais s’ouvre aux nouvelles technologies avec son spectacle Pixel.
Que sera le théâtre dans vingt ans ? Je ne peux pas le dire à part qu’il sera adapté à la société. Je parlais de Thomas Joly. Que va-t-il faire dans vingt ans ? Nous n’en savons rien. J’espère qu’il ne fera pas justement ce qu’il fait aujourd’hui, qu’il saura s’adapter et c’est cela qui justement contribuera à sa longévité, comme pour tous les artistes. David Bobée, par exemple, qu’on a accueilli, que je connais depuis dix ans, a évolué en fonction de son temps, de la société et des techniques. D’ailleurs, les techniques aussi évoluent tout le temps et les théâtres doivent s’y adapter et peut-être se restructurer. Les Salins devront donc se restructurer pour pouvoir accueillir des spectacles avec de la vidéo ou la motion capture. Après, il faut toujours réfléchir aux investissements vu la rapidité d’évolution de ces techniques…
Vous aimez bien faire le grand écart dans votre programmation. Vous programmez par exemple les deux Fernandez en ouverture et le groupe pop Husbands…
Eric Fernandez m’a dit avoir un nouveau projet avec Nilda Fernandez, j’ai trouvé ça parfait. C’est un artiste qui a marqué les années 90 tandis qu’Eric Fernandez a marqué l’histoire du théâtre et de Martigues. Il est connu de tous ici, ce qui rassemble effectivement tous les publics. Quant à Husbands, c’est d’une part du local et d’autre part c’est imaginer l’avenir parce qu’ils sont en train d’exploser complètement.
Que pensez-vous initier afin de pérenniser le théâtre et qu’il soit toujours là en 2035 ?
Ma position est toujours de dire que je ne suis que de passage dans cette maison, en transition. Et ce que je serai encore là dans vingt ans ? Sûrement pas. Mais le théâtre, oui. Il est chargé d’une histoire, l’histoire de ses vingt ans et des fantômes qui l’habitent (sourire). Entendons par là les directeurs qui l’ont porté avant et qui m’ont raconté leur parcours ici, le public qui m’a parlé des artistes venus sur le plateau mais aussi dans la ville. Le Festival populaire de Martigues a nourri l’arrivée de ce théâtre… On n’arrive pas sur un terrain vierge et il ne faut pas faire table rase de ce qui a précédemment existé. De même, quand je partirai, j’aurai insufflé des choses, amené des artistes nouveaux ou des fidèles. J’espère juste que la personne qui sera là après moi s’emparera de ça pour l’amener là où il a envie, ailleurs sûrement, mais sans oublier ce qui s’est passé avant.
Moins loin que 2035, des idées pour la saison prochaine ?
J’espère déjà que celle-ci sera attrayante et festive à l’image du spectacle d’Alex Lutz ou des Blond and Blond and Blond. Parce que je n’ai pas envie non plus que l’on soit seulement des militants ou des gens qui plombent l’atmosphère. Il est aussi agréable d’aller au spectacle pour juste passer une bonne soirée.
Mais je ne sais absolument pas ce que l’on ferra la saison prochaine, parce qu’on est aujourd’hui dans une économie telle qu’il y a trois ans entre la conception d’un spectacle et sa création sur le plateau. On n’a pas forcément envie de dire les mêmes choses trois ans plus tard… Et je pense que si on ne fait pas attention à ça, si on n’essaie pas de réduire ce temps-là, le spectacle vivant risque de mourir. C’est pourquoi j’essaie de ne pas prévoir les choses trop longtemps à l’avance.
Etes-vous content de votre théâtre ?
J’ai des choses à lui reprocher techniquement. J’aimerais pouvoir enlever les gradins de la grande salle. Il manque une moyenne salle. Mais je suis content d’être dans un vrai théâtre et d’entendre le public dire « Mais c’est un vrai théâtre avec des beaux matériaux, des tapis rouges… » alors que c’était obsolète à l’époque.
Mais, surtout, les scènes de spectacles sont pour moi les derniers endroits de liberté, où l’on peut encore dire ce que l’on veut et comme on veut. Je pense à la télévision ou à la radio qui sont coincées dans des schémas où on ne peut plus tout dire. Les politiques eux-mêmes ne peuvent plus tout dire, le fond de leur pensée, expliquer les choses. Les artistes peuvent encore et en tout cas sur les scènes vivantes. Je veux que cela continue, c’est pourquoi j’essaie d’emmener des sujets de société et de donner la parole aux artistes, parce qu’ils ont des choses à dire souvent différentes de ce que l’on peut entendre tous les jours ou qu’elles prennent d’autres formes.
Propos recueillis par Maryline Laurin
Les 20 ans des Salins : le 10/10 à partir de 16h au Théâtre des Salins (19 Quai Paul Doumer, Martigues).
Rens. : 04 42 49 02 01 / www.theatre-des-salins.fr