Les dessous financiers du plan écoles à 1 milliard de la Ville de Marseille
Le 19 janvier, le maire de Marseille donne le coup d’envoi du plan écoles dans le 15e arrondissement. Qui va payer, quel impact sur les finances municipales, qu’est-ce qui est prévu cette année ? Marsactu zoome sur ce fameux milliard qui doit déferler sur les établissements marseillais.
Dans quelques jours, le maire de Marseille fera enregistrer au tribunal de commerce la Société publique des écoles marseillaises (SPEM). Associant à parts égales la Ville et l’État, elle devra orchestrer 1 milliard d’euros de travaux dans les dix prochaines années. Mais peu de détails ont filtré sur ce « plan écoles » depuis sa présentation le 11 octobre. Animée par Benoît Payan en personne, elle s’était limitée à l’annonce d’un montant global et d’une première liste d’établissements concernés, sur le total de 174 créés ou remis à neuf.
Trois mois plus tard, un document vient éclairer ce chantier, en particulier son volet financier. Il s’agit du plan de financement de la SPEM, fourni aux conseillers municipaux dans une annexe de la délibération validant sa création. Marsactu vous détaille son contenu et les enjeux qu’il met en lumière, à la veille d’une première visite de chantier par Benoît Payan.
Un passage de témoin pour un démarrage en trombe
Le premier réflexe de tout un chacun sera de chercher combien d’argent est prévu pour 2022. La réponse inscrite dans le tableau a de quoi surprendre : la première année du plan, en partant d’une société en cours de création, doit se solder par près de 80 millions d’euros de travaux. Si cet objectif était tenu, le record d’investissement (63 millions d’euros en 2020) serait battu dès la première année, en sachant que la SPEM ne couvrira pas l’ensemble des travaux dans les écoles.
La première raison est simple : la SPEM va récupérer les projets de création et rénovation lourde déjà dans les tuyaux, et pour la plupart lancés lors de la précédente mandature. C’est par exemple le cas de deux écoles du 3e arrondissement, Marceau et Jolie-Manon, pour lesquels l’ensemble des marchés ont été attribués, ou de l’extension du groupe scolaire Saint-Louis-gare, dont Benoît Payan visitera le chantier ce mercredi. Ces marchés seront transférés à la SPEM, qui prendra en main le suivi avec les entreprises et surtout paiera la facture.
Dans l’esprit de la Ville, il s’agit d’éviter la mise en place à rallonge que l’on observe pour l’autre société publique soutenue par l’État à Marseille, dans le domaine de l’habitat indigne. Dans la même logique, la SPEM s’appuiera dans un premier temps sur les agents municipaux qui pilotent actuellement les projets d’écoles au sein de la direction de l’architecture et de la construction, avant de bénéficier d’une équipe dédiée. « Est-ce que nous aurons vraiment 80 écoles à la fin du mandat ? Personnellement, j’en doute, mais nous n’avons aucun élément précis sur les opérations prévues, leur rythme et leur coût », regrette Pierre Robin, conseiller municipal d’opposition (LR).
Un bilan à peu de frais pour 2026
On l’a déjà souligné : en 2026, sauf dévissage de calendrier, ce plan écoles fera figure de totem dans le bilan de mandature du Printemps Marseillais. Pourtant, à cette date-là, il n’aura encore pesé que de manière marginale sur le budget de la Ville de Marseille. Si Benoît Payan et son équipe se plaisent à parler d’un « partenariat public-public », ce n’est en effet pas qu’un bon mot pour finir d’enterrer le partenariat public-privé (PPP) voulu par leurs prédécesseurs. Après une contribution initiale de 20 millions d’euros, la Ville financera les contrats passés avec la SPEM sous forme de « loyers », aussi appelés « redevances ». Un terme que l’on retrouverait aussi dans un PPP.
Le tout dans des conditions particulièrement favorables pour la Ville. Le décollage sera assuré par l’État, qui débloquera 400 millions d’euros de subventions jusqu’en 2027, complétés par des emprunts souscrits par la SPEM (506 millions jusqu’en 2030). Tout compris, l’adjoint aux finances Joël Canicave devra débourser moins de 65 millions d’euros jusqu’à la fin du mandat en 2026. « C’est un peu de la cavalerie, cela revient à encaisser le bénéfice politique tout en faisant payer plus tard », observe Pierre Robin. La bonne nouvelle pour l’équipe municipale — et les usagers des autres services publics — c’est qu’en attendant, le budget d’investissement pourra être consacrés aux multiples autres urgences…
Quel héritage pour les générations futures ?
Mais en politique comme en finances publiques, il y a rarement des miracles. Dès le prochain mandat, le montant des redevances atteindra rapidement 20 millions d’euros par an, avant de trouver son rythme de croisière à une trentaine de millions. Soit à peu près la moyenne des années Gaudin pour l’ensemble des écoles marseillaises (plus de 400). Au final, dans la colonne total, le coût pour la Ville est chiffré à 997,2 millions d’euros. La charge est simplement lissée jusqu’en… 2061.
Quel regard l’équipe municipale du futur portera sur ce contrat Payan-Macron ? Pour l’actuelle, cet héritage ne sera pas aussi lourd à porter que les dizaines de groupes scolaires GEEP en bout de course légués par Jean-Claude Gaudin. En effet, ce milliard intègre 200 millions d’euros pour la remise à niveau constante du parc construit par la SPEM et une enveloppe équivalente pour des interventions mineures dans les 300 autres écoles.
Pour la Ville, ce qui équivaut à un gigantesque crédit est aussi financé dans de meilleures conditions que ce qui était prévu avec le PPP version Gaudin. Les intérêts coûteront 30 % de moins que les estimations de 2017 pour un emprunt d’un volume équivalent, soit une économie de 70 millions d’euros.
La Ville gardera les ampoules
Malgré ses similitudes avec le PPP, le contrat passé avec la SPEM présentera une différence de taille : l’entretien courant demeurera dans le strict giron municipal. Pour changer une poignée de porte ou déboucher un sanitaire, les directeurs d’école devront toujours se tourner vers les agents municipaux. Ces interventions du quotidien, qui font l’objet de critiques récurrentes et anciennes, restent donc un enjeu pour l’adjoint au bâti scolaire Pierre-Marie Ganozzi.
Cette règle comprendra cependant des exceptions temporaires. Lorsque les écoles auront été construites par le biais d’un marché public global de performance, ce sont les entreprises qui assureront dans un premier temps la maintenance. Ce sera le cas pendant cinq ans pour cinq groupes scolaires déjà visés par ce type de contrat, dont les travaux doivent démarrer avant la fin de l’année. Et la liste pourrait s’allonger sous la houlette de la SPEM. Chassez le privé…
Julien Vinzent