Les Disques Bien

Les Disques Bien

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Un jeu d’enfants

La douce M-Jo présente son premier album, et part donc en tournée. Sauf que les artistes des Disques Bien font tout ensemble, et quand on en pioche un, c’est tous les autres qui viennent avec. L’occasion pour nous d’évoquer ce collectif particulièrement original…

Ce qui compte pour les Disques Bien, c’est de créer de bons albums. Le label basé entre Paris et Marseille suit pour cela les traditions de deux de ses pairs, ESP (Etats-Unis) et Saravah (France), l’un spécialisé en musique improvisée et l’autre en chanson (avec Higelin et Brigitte Fontaine notamment). Leurs credos respectifs : « Les artistes seuls décident » et « Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire ». Selon Flòp, appartenir à un label vraiment indépendant permet une liberté totale dans la création de l’album et donc de ne pas avoir à correspondre aux catégories ou codes esthétiques usuels, censés permettre à un label classique de vendre un disque. Et l’absence de contraintes de temps s’illustre chez Tante Hortense de la façon suivante : il se définit comme un artiste « intéressé », au sens où son statut lui permet de mener une vie marginale, et donc, de prendre son temps, de s’amuser. Au départ, les fondateurs de ce label, Tante Hortense, Flòp, M-Jo, David Scrima, Etienne Jaumet, Eddy Godeberge, François Tarot et French formaient donc « une bande, de fait » (dixit Flòp), décidés à rendre cet idéal possible. Cinq ans après, pour la sortie du premier album de M-Jo, Mes propriétés, album choral à plus d’un titre (arrangé et mixé par M-Jo, mais écrit, composé et joué avec, entre autres, Flòp et Tante Hortense), on se demande pourquoi chacun des albums continue à mobiliser les uns et les autres, de manière systématique.
Avec une présence récurrente sur chaque disque du label, la chanteuse et multi-instrumentiste M-Jo est un peu l’égérie des Disques Bien. On peut se demander pourquoi avoir tant tardé à se mettre en avant. Parce que, loin de se conformer aux critères du système médiatique, se rapportant à l’image des artistes, et poussant ces derniers au narcissisme, les Disques Bien ne connaissent pas de problèmes d’ego. On a trouvé la parade, qui fait tenir le tout ensemble… Quand il disait « bande, de fait », Flòp ne voulait pas seulement parler de communauté d’intérêts pratiques se limitant à mutualiser outils, réseaux, « matos » et expérience. Leur motivation à rester ensemble ne tient pas à la liberté de faire n’importe quoi. Bien au contraire, comme l’indique la proximité de leurs styles respectifs. La véritable raison d’être de cette association ? Il est toujours plus aisé et plus profitable de « jouer » à plusieurs, de s’amuser tous ensemble, d’autant qu’il est très compliqué de faire de la musique purement « ludique » au sein des maisons de disques actuelles (malgré l’exemple de Katerine, signé chez une major – voir chronique). Si on considère alors les chansons elles-mêmes, cela se traduit par des paroles d’allure simple, presque triviale, qu’il ne faut surtout pas entendre comme l’expression spontanée de leurs auteurs — ce qui les différencie de la tendance majoritaire de la chanson « à texte » d’aujourd’hui. Les artistes de ce label sont donc des « chansonniers » au sens d’artisans : ils mettent au point de belles et intelligentes chansons. On pourrait les écouter sans même parler le français, et dans le cas contraire, on ne pourra les apprécier qu’en abandonnant l’idée d’en comprendre le sens à la première écoute, puisqu’ils ne font jamais que jouer avec les mots et les idées (comme Katerine), ainsi que de leurs sonorités. Ainsi, pour décrire sa production, Flòp affirme que tantôt il s’amuse à faire du beau, tantôt, comme ses camarades, il retire du plaisir à faire du « beau jeu ».
Si la majorité des artistes du label est composée de grands enfants occupés à jouer, ils vous demandent de les prendre très au sérieux — eux le sont. Les dix Disques Bien eux-mêmes sont des objets ludiques mis au point avec le plus grand soin. Il ne faut d’ailleurs pas confondre la blague et le jeu. Lorsque le chanteur de la Pompe Moderne annonce, avec la voix de Georges Brassens, « La prochaine chan-son est une o-de à la parrrr-touze », si vous arborez un léger sourire complice plutôt que de rire grassement, c’est que vous avez intégré les règles du jeu. Car comme disait Flòp, « Juste joue. Mais joue juste. »

Jonathan Suissa

M-Jo sera en concert avec Flòp le 29 à l’Embobineuse et le 30 à la Maison du Chant // www.lesdisquesbien.com

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