Les Émouvantes
La parole à… Claude Tchamitchian
Le festival Les Émouvantes, développé par la Compagnie Claude Tchamitchian a su réduire la voilure des propositions alignées en début d’été pour se recentrer sur des formes musicales entre solo et duo, contraintes « sanitaires » obligent. Pour autant, cette intimité des pièces qui seront données au Théâtre des Bernardines augure d’une navigation sensible sous les meilleurs vents de l’improvisation. Entretien avec le directeur artistique de la compagnie, contrebassiste total, totalement investi dans son art et celui des autres, comme on a pu le voir aux côtés de Naïssam Jalal au Mucem en août dernier.
« On savait que Marseille était une zone à risque du fait du covid et que, si on annulait, on mettait aussi en danger le label Émouvances. J’ai donc demandé aux leaders des orchestres précédemment programmés de proposer un solo ou un duo dans l’idée de faire comme si 2020 allait être une esquisse de 2021, sachant que tous les musiciens qui ne joueront pas seront déclarés en chômage partiel. Tout le monde a joué le jeu, sachant que la compagnie jouait son avenir. Car même si elle porte mon nom, elle ne s’occupe pas que de moi. Naïssam Jalal a vraiment voulu que je joue avec elle parce que le duo révèle plein d’autres choses par rapport à l’écriture. Jean-Charles Richard (saxophoniste venu de l’univers de la musique classique se vouant de plus en plus à l’improvisation, NDLR) a carrément commencé à composer une nouvelle suite. Idem pour les membres de Carravagio (groupe de jazz évoluant vers le rock… et le baroque NDLR). On a finalement appréhendé le festival en deux temps. Cette année, c’est une esquisse et, comme certaines esquisses en arts plastiques, cela peut avoir beaucoup plus de valeur que l’œuvre achevée. »
Les musiques improvisées ont-elles un sens, par rapport au jazz notamment ?
« Improvisateur ? Oui, on m’a déjà collé cette étiquette. Mais les musiciens baroques ou traditionnels improvisaient. On peut avoir la sensation d’une musique improvisée qui est parfois abstraite, voire bruitiste ou même un peu austère. Nous, ce que l’on défend avec les Émouvantes, ce sont des musiques de création, et on essaye de ne pas confondre style et musique. Il y a souvent un débat par rapport au jazz. Quand je donne une master-class, les participants sont toujours surpris que je connaisse Charlie Parker ou Dexter Gordon, parfois mieux que d’autres qui « restent » dans le jazz. Ce que l’on propose se situe à la croisée des musiques afro-américaines et des musiques européennes. Le jazz a perdu son côté populaire car ce n’est plus une musique de danse, contrairement à ce qu’il pouvait se passer dans les ball-rooms des grands hôtels jusque dans l’après-guerre. Et même, il avait déjà perdu une partie de son identité parce qu’un orchestre de danse comme celui de Duke Ellington était composé de musiciens afro-américains qui jouaient pour des blancs… dans la salle, le seul noir qu’il finissait par y avoir, c’était le balayeur. Je sais très bien que certaines musiques ne sont pas “disquables” mais pour nous, ces musiques dites “improvisées” s’apprécient en présence. Certaines sont très peu “disquables” parce que ces musiques appellent la composition en temps réel et l’écoute en temps réel. »
Laurent Dussutour
Les Émouvantes : du 16 au 19/09 au Théâtre de Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er).
Rens. : www.tchamitchian.fr
Le programme complet du festival Les Émouvantes ici