Claude Tchamitchian © Christophe Alary

Les Emouvantes à la Friche la Belle de Mai

Carte blanche à Claude Tchamitchian

Si les médias actuels, jusque dans leur forme artistique, participent de l’aliénation généralisée, il est heureusement des projets à même de sublimer nos conditions de réception des œuvres. Le festival multidisciplinaire Les Emouvantes en fait partie. On a voulu laisser la parole à Claude Tchamitchian, l’immense contrebassiste fondateur et directeur artistique de la maison de disques organisatrice : Emouvance

« Emouvance défend depuis dix-huit ans des musiques que d’autres classent hors normes mais qui manquent singulièrement de diffusion. C’est bien évidemment un choix artistique qui nous guide avant tout, mais cette question de normalité dépasse de loin nos désirs de production. Elle pose une question fondamentale de société et, de façon plus large, de rapport du pouvoir à l’humain. Certains groupes de pression, industriels, bancaires ou politiques, pour ne citer que ceux-là, trouvent leur compte dans l’installation d’un sentiment d’angoisse qui leur permet de mieux tenir à distance toute voix discordante. Ce festival est le reflet de ce que nous défendons tous les jours. Il mérite son nom par le fait de présenter un nombre non négligeable de spectacles de façon très concentrée dans le temps, mais n’essayez pas d’y trouver ce que les parades estivales nous proposent parfois. Nous voulons un échange avec le public, en sollicitant son imaginaire et non pas en lui demandant de consommer.
La question du rapport au jazz, comme celle du rapport de l’écrit et de l’improvisé, me semble vaine. Duke Ellington, Charles Mingus ne voulaient pas entendre parler de « jazz ». Ils préféraient le terme de « musique afro-américaine ». Quant à l’improvisation, il vaudrait mieux penser de façon plus large, et concevoir qu’il s’agit d’une attitude, d’un état d’esprit. Le jazz n’en a pas le monopole d’ailleurs. Toute musique vivante utilise l’improvisation. Toute personne jouant d’un instrument peut et doit improviser, ou du moins essayer. Je fais suffisamment de pédagogie pour le savoir. La virtuosité n’a rien à voir avec ça, c’est plutôt la peur de créer des ateliers d’improvisation qui rend sa pratique encore peu répandue. Qui dit atelier d’improvisation dira forcément remise en question d’un certain discours académique, et certaines institutions ne sont pas encore prêtes pour cela. Même si les choses ont beaucoup évolué ces dernières années.
Les réseaux sont là pour aider les gens à se procurer toutes sortes de documents sur cette musique, et quoi qu’en pensent nos médias, il y a de la demande. Le public prend conscience de plus en plus que les images ou les sons préfabriqués d’une certaine industrie de l’audiovisuel sont tueurs d’imaginaire. C’est une question d’époque et de société : on veut savoir ce qu’on entend, ce qu’on voit, ce qu’on mange, ce qu’on boit… Les gens ont bien réalisé qu’il s’agit de leur santé mentale et physique. »

Propos recueillis par Laurent Dussutour

Les Emouvantes : du 17 au 20/10 à la Salle Seita – Friche la Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).
Rens. 04 91 64 30 47 / www.lesemouvantes.com