Les expositions de l’été à la Friche la Belle de Mai
La Belle d’été
La Friche la Belle de Mai a ouvert son cycle d’été avec quatre nouvelles expositions, dont deux présentent les travaux d’artistes du cru, de la ville, voire du quartier. Au quatrième étage, Ni drame ni suspense (les conditions de la durée) fait étape dans d’éternels processus, ceux des artistes résidents dans les ateliers de la ville. Tandis qu’au rez-de-chaussée, la Galerie de tous les possibles donne carte blanche à Anis Chelbi, qui lui-même met Les Artistes de la Belle de Mai à l’honneur.
Les quinze artistes sélectionné·es en 2021 pour bénéficier des ateliers municipaux aux maigres loyers arrivent désormais au bout de leurs baux. Pour marquer le coup vient Ni drame ni suspense (les conditions de la durée). L’une des idées de l’expo, c’est de parler d’art en se postant depuis ses coulisses, pour matérialiser ce qui permet son maintien, sa perpétuation et sa continuité. Vient alors d’abord l’aspect économique, qui ouvre et clôt l’exposition. Dès l’entrée, Mégane Brauer relève le quotidien de l’extrême précarité avec strass et paillettes, comme la pâte à tartiner premier prix du bas de rayon et son marketing rudimentaire, représentée ici en peinture diamant (une mosaïque faite de centaines de petites perles irisées collées sur une toile) ; ou avec la musique du standard de la CAF qui nous accueille, nous, public, par une boucle sonore : Veuillez patienter. Plus loin, il y a les vitrines et étiquetages à visées commerciales auxquels Hanna Rochereau renvoie, avec ses peintures (le dyptique It glows in the dark) qui montrent comment on appâte et on vend, et qui rappellent que ces techniques de monstration sont aussi valables dans les musées. En clôture, Paul Chochois rehausse une couronne mortuaire photographiée au Cimetière Saint-Pierre de pigments roses et verts extraits de billets de banque (Tutto passa), liant la mort et le souvenir (et l’immortalité de l’art ou de l’artiste) au mercantile, mais de manière très poétique, douce et mélancolique.
Mais pour perpétuer, il est aussi question de représenter, de fabriquer, de fictionnaliser, comme l’installe Eva Medin en référence au cinéma ; ou comme l’image Juliette Déjoué avec ses personnages déguisés. Partant d’ateliers menés avec des détenus aux Baumettes, ses photos très mises en scènes, ensuite peintes et photoshopées, évoquent aussi bien sûr le temps long et l’importance de la « durée ». Et le mot « durée » appelant invariablement son cousin « durable », on trouve en réponse à l’inquiétude écologique les sculptures monumentales de Côme Di Meglio, en copeaux de bois recyclés et mycélium vivant ; ou la composition de Basile Ghosn, aux références underground de l’art et de la résistance, en deux voire trois dimensions (selon l’angle de vue), faite de matériaux récupérés, d’éléments dissimulés, reflétés, ou sauvés des inondations dans des « ateliers pas aux normes »… Le travail de l’art, c’est aussi le gardiennage, la maintenance, le ménage, et la performativité de l’œuvre, qui, une fois produite, vit sa petite vie : c’est ce que nous suggère Flore Saunois avec ses œuvres posées au sol, disséminées.
Ces travaux et ces pratiques très hétéroclites suivent donc un fil rouge : celui qui porte attention au détail, à l’ombre, à l’invisible et au parfois dénigré. Et en plus, l’exposition montre — de façon aérée, esthétique et ancrée dans le vécu et le présent — un intéressant panel des interrogations et intérêts d’une belle partie de la jeune scène artistique marseillaise.
Récemment installée entre le Skate Shop et la librairie de la Salle des Machines, la Galerie de tous les possibles est dédiée aux artistes du territoire. Ce qui prend tout son sens avec l’exposition qui a ouvert ses portes le 14 juin dernier : Les Artistes de la Belle de Mai à l’honneur. L’artiste local Anis Chelbi, qui habite à une rue du lieu, a convié des partenaires du quartier à la demande de la galerie. En résulte un petit collectif, créé pour l’occasion. Permettant de croiser les univers et les pratiques de chacun, la scénographie oppose et complète les œuvres des cinq artistes exposés. Vous serez accueillis par une tribu de créatures hybrides en céramique de Christine Carotenuto, ainsi que par les aquarelles japonaises de Marie-Line Sanchez, dont les couleurs et le mystère nous transportent bien au-delà de la Belle de Mai. La mise en parallèle des photos aux allures surnaturelles de Nicolas Guyot et celles de paysages à l’inquiétante étrangeté de Francis Helgorsky permet de les faire dialoguer ensemble dans un espace dédié.
Et pour l’ancrage local, vous pouvez compter sur les aquarelles et les tableaux d’Anis Chelbi, qui respirent Marseille et ses environs, que se soit en monochrome, en couleurs ou en métaux issus de recyclage. Il y a une poésie toute marseillaise qui ressort des œuvres et on sent la bienveillance à chaque trait de crayon. L’artiste plasticien, humble au possible, impliqué dans de nombreux projets dans le quartier (l’aménagement de square, l’association les Brouettes Belle de Mai, etc.), a toujours cru au potentiel artistique de ce territoire, ainsi qu’à son réseau de proximité, deux aspects qu’il met à l’honneur avec cette belle exposition.
Comme en témoigne tous les ans la Belle Fête de Mai, la riche et foisonnante scène artistique autour de la Friche peut désormais se targuer d’être dignement représentée en son sein.
Margot Dewavrin / Romain Maffi
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Ni drame ni suspense (les conditions de la durée), jusqu’au 24/09 au 4e étage.
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Les Artistes de la Belle de Mai à l’honneur, jusqu’au 12/08 à la Galerie de tous les possibles.
Friche la Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).
Rens. : www.lafriche.org.