Planches de salut
Dans une ambiance toute aussi bigarrée qu’à l’accoutumée, les Rencontres du 9e art investissent plusieurs lieux de la ville d’Aix, tentant de mêler de manière festive avant-garde et convivialité. Focus sur quelques expositions marquantes du festival de la BD d’Aix.
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Léo Quievreux – Le Programme immersion
La sélection de planches extraites du « thriller dessiné » de Léo Quiévreux nous immerge immédiatement dans son univers troublant, à la frontière entre le réel et l’irréel. On perçoit instantanément l’ambiance pesante et angoissante grâce à une combinaison de noir et blanc qu’affectionne l’auteur et d’un dessin très graphique, qu’il soit précis et détaillé ou au contraire proche de l’abstraction. L’atmosphère de ce récit d’anticipation s’avère résolument ambiguë : les personnages sont louches, ont l’air inquiétant ou inquiété, tantôt ombres, tantôt visages aux traits imparfaits, inachevés, presque monstrueux ; les décors, aux lignes implacables, transpirent l’anonymat, la solitude, la peur des autres. Le malaise nous saisit. L’histoire mêle espionnage (deux agences rivales se disputent une technologie de pointe) et anticipation (elles se battent dans l’espace mental de plusieurs agents endormis). Pour une immersion totale.
GH
> Jusqu’au 30/04 à la galerie Vincent Bercker (10 rue Matheron, Aix-en-Provence).
Rens. : 04 42 21 46 84 / www.facebook.com/GALERIE-VINCENT-BERCKER-195972043772781/
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Nylso – Cabanes
Dans chaque dessin de Nylso, pas d’homme, pas d’animal, juste une cabane et la nature tout autour. L’une l’observe, l’autre la protège. La cabane n’est jamais au centre du dessin mais dans un coin, cachée par cette nature omniprésente. Elle semble posée là, discrète, silencieuse, à l’écoute. Comme une invitation à traverser et (re)découvrir ces prairies, ces arbres, ces rochers pour pouvoir enfin l’atteindre. Comme bercé par la respiration lente d’un animal dont l’herbe serait la fourrure. Le trait de l’auteur, délicat, précis, dense et surtout monochrome, fait ressortir toute la richesse d’un paysage faussement banal.
Tel Sylvain Tesson dans sa cabane en Sibérie, on a diablement envie d’entrer dans celles dessinées par Nylso et d’y passer six mois. Pour y voir défiler les saisons sur cette nature dense et paisible. Pour y redécouvrir le plaisir et l’intensité de la contemplation. Pour y vivre et ressentir à nouveau la douceur de la solitude que l’homme a un peu perdu aujourd’hui.
> Jusqu’au 30/04 à la Brasserie de la Mairie (Place de l’Hôtel de Ville, Aix-en-Provence).
Rens. : 04 42 21 04 26
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Un Monde Méroll
L’exposition nous emmène à la découverte du monde féerique et enchanteur de Edouard-Michel Méroll, magnat de l’huile pour moteur et friture, et amateur d’art émérite. Dans un univers coloré (enfin… surtout jaune) très pop art, l’image de la marque Méroll — en particulier via la figure de Goutix, la mascotte goutte d’huile — est déclinée de manière virtuose sur une multitude de supports. Maquettes, vidéo, objets de consommation les plus divers contribuent à créer un ensemble quasiment immersif au fini impeccable. Une expérience cynique mais amusante qui donne l’occasion d’une exposition en abîme, puisque quelques planches originales de jeunes auteurs (publiées aux Requins Marteaux) sont présentées. Permettant une échappée hors de l’univers consumériste de l’huile Méroll, elles rappellent aussi le statut premier de l’exposition, qui fût elle-même une bande dessinée (Il était une fois l’huile de l’auteur Winshluss). Bref, une exposition bien huilée et à l’humour un peu grinçant…
EW
> Jusqu’au 14/05 à la Galerie Zola (Cité du Livre – 8/10 rue des Allumettes, Aix-en-Provence).
Rens. : 04 42 91 98 88 / www.citedulivre-aix.com
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Marcel Schmitz et Thierry Van Hasselt – Vivre à FranDisco
Qu’est-ce qui a bien pu être à l’origine du projet de Marcel Schmitz ? Il y a quelque chose de totalement obsessionnel dans la démarche de l’artiste qui a entrepris de réaliser, à échelle mi-humaine, une ville tentaculaire et fantasmée, faite de scotch et de carton. Face aux questionnements plus qu’actuels sur les problématiques urbanistiques de division du territoire et de la fragmentation de l’espace social, Marcel Schmitz propose une réponse totalement singulière mais entière, minutieuse et précise, touchante par cette première sensation bancale de précarité. L’espace produit, proche visuellement d’une forme d’art brut, mêle des éléments architecturaux réinterprétés à des éléments urbains incongrus, créant un ensemble absurde mais empreint d’affect, repris avec inventivité par le dessinateur Thierry Van Hasselt. Avis aux amateurs d’anarchitecture…
EW
> Jusqu’au 21/05 à la Fondation Vasarely (Avenue Marcel Pagnol, Aix-enProvence).
Rens. : 04 42 20 01 09 / www.fondationvasarely.fr
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Brecht Evens – Le Meilleur des mondes
« Avant, j’étais un dessinateur à traits. » Mais ça, c’était avant… Voilà qui donne le ton (coloré) du travail de Brecht Evens, vétéran des Rencontres, exposé au Palais de l’Archevêché. Très justement installé dans la crypte, le dispositif d’exposition fait écho à l’immanence du lieu et offre au spectateur un chatoiement de couleurs. Le travail de l’artiste, en s’écartant du tracé, parvient à reconstituer des ambiances délicates, tendant à « recréer ce flou, ce mouvement constant de la vie. » Le jeu sur la matière de la couleur et sa transparence, son rapport au cubisme, ainsi que les sujets abordés, confèrent une forme de spiritualité aux planches, franchement accentuée par de grands vitraux colorés qui en reprennent des détails des planches. Le ton affiché se révèle sensible et déconcertant : l’auteur déconstruit de manière dérangeante certains modèles ou reprend d’autres thèmes à l’envi, comme l’espace de la fête. Le résultat, poignant, semble être un passage incontournable du festival.
EW
> Jusqu’au 20/07 au Musée du Palais de l’Archevêché (28 Place des Martyrs de la Résistance, Aix-en-Provence).
Rens. : 04 42 23 09 91
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Anouk Ricard – Petit Inventaire
Anouk Ricard est l’atout féminin de cette treizième édition du festival. Elle propose avec son Petit Inventaire une escapade artistique et humoristique en plein cœur de la capitale historique de Provence. La bande dessinée s’invite dans les vitrines de la ville grâce au malicieux coup de crayon de la talentueuse illustratrice. Ainsi, vingt-cinq commerces phares du centre ville se sont fait « croquer le portrait » par l’une des réalisatrices de la série télé Avez-vous déjà vu..?. Parce qu’Anouk Ricard sait tout faire ou presque. Films d’animation, illustrations jeunesse, bandes dessinées numériques… Elle parvient ici aussi, pour le plus grand plaisir des Aixois, à jouer de ses crayons pour égayer les vitrines de la ville. Dessins naïfs, loufoques et hauts en couleurs… Anouk Ricard réinterprète chaque enseigne avec son humour absurde et ses personnages tordants. De la Brûlerie Richelme à la Fromagerie Lemarié en passant par la Charcuterie Bianco, personne n’a été épargné. Beaucoup d’humour en prévision pour cette balade au détour d’un musée en plein air.
AB
> Anouk Ricard exposait jusqu’au 18/04 dans 25 commerces du centre-ville d’Aix-en-Provence
Estelle Wierzbicki, Géraldine Higel et Astrid Börner
Rencontres du 9e Art : jusqu’au 21/05 à Aix-en-Provence.
Rens. : 04 42 161 141 / www.bd-aix.com