Les formes féminines à la galerie de la Friche
Garçons manqués
L’exposition Formes féminines traite des liens entre la femme artiste du XXe siècle, la sculpture et le modernisme… Les choix curatoriaux de Dorothée Dupuis évitent les poncifs du genre pour proposer une exposition qui n’a finalement que peu à voir avec le sexe de ses artistes…
Si la congruence des trois notions explorées par l’exposition ne paraissait pas évidente, elles sont pourtant étroitement liées. Pourquoi ? Parce que la sculpture est une forme artistique ancestrale qui tisse des liens entre académisme et modernisme, même si elle fut malmenée par ce dernier. Et que les femmes sont restées en marge du modernisme, malmenées elles aussi, pour des raisons somme toute indépendantes de leur genre. L’Histoire de l’art se souvient mal des œuvres abstraites numériques de Vera Molnar dont elle fut pourtant pionnière, moins spectaculaires que les performances autour du vagin de Carolee Schneeman dans les années 70. Sur fond de féminisme, les propositions artistiques issues de cerveaux féminins haussèrent le ton et adoptèrent pour longtemps un propos revendicatif… Si la provocation se justifiait en son temps, il n’empêche qu’on confond encore aujourd’hui art féministe et art féminin, si tant est qu’il existe… Ce que vient contredire l’exposition proposée par Triangle. En faisant abstraction des cartels, on ne discerne aucune sensibilité supposée féminine. Non, rien de sensible ni de féminin dans les œuvres de Colombe Marcasiano ou Claire-Jeanne Jézéquel, mais une analyse formelle qui, avec le recul nécessaire, se réapproprie les concepts du modernisme. La très belle installation de Severine Hubard traite à la fois de l’espace, de l’architecture et de l’urbanisme dans un langage plastique qui rappelle les premières œuvres abstraites de Lissitzky ou de Tatline. Eva Berendes puise joliment dans les références au Bauhaus et au suprématisme pour livrer un immense rideau qui tranche l’espace comme une onde aérienne et s’impose par les motifs abstraits noirs recouvrant la toile. Quant aux incontournables truismes de Jenny Holzer, ils ressassent des vérités, remettant ainsi en question un certain discours contestataire mais systématique, tout en interrogeant les conventions d’accrochage de la galerie d’art… Autant de propos artistiques indépendants d’un genre qui questionnent une époque charnière de l’Histoire de l’art, dont l’une des théories fut celle du regardeur participatif. En l’occurrence, l’œuvre d’art est asexuée, ce qui n’est pas le cas de celui qui la reçoit. A chacun d’en donner son interprétation.
Céline Ghisleri
Les formes féminines : jusqu’au 9/05 à la galerie de la Friche (41 rue Jobin, 3e).
Rens. 04 95 04 96 11 / www.trianglefrance.org