Les Lumières du faubourg – (Finlande – 1h18) un film d’Aki Kaurismäki avec Janne Hyytiäinen, Maria Heiskanen…
Si l’automne cinématographique (qui va bientôt finir par se transformer en hiver si personne ne fait attention) est avare de choc esthétique, il s’avère en revanche riche d’enseignements sur l’état du monde du cinéma. Nouveau cas d’école… (lire la suite)
A contre-courant
Si l’automne cinématographique (qui va bientôt finir par se transformer en hiver si personne ne fait attention) est avare de choc esthétique, il s’avère en revanche riche d’enseignements sur l’état du monde du cinéma. Nouveau cas d’école sur lequel toi aussi lecteur tu peux t’amuser à plancher : le cinéaste à la mode.
Récapitulons. Il arrive parfois qu’à la faveur d’un improbable malentendu, un auteur brillant mais confidentiel obtienne un succès populaire mérité quoique suspect. Ce fut le cas, en son temps, pour Wong Kar-waï et son In the mood for love, ainsi que pour l’Homme sans passé d’Aki Kaurismäki. Or, si le talentueux Wong — à force de vouloir se conformer à la demande — collectionne depuis les échecs artistiques, le bon Aki et son flegme finlandais continue son chemin sans ciller, prouvant ainsi qu’on peut être à la mode et se foutre royalement des tendances. Dans Les Lumières du faubourg, l’auteur des Leningrad Cow-boys go to America continue d’explorer son univers de papier glacé, sa Finlande fantasmée, peuplée de losers magnifiques et d’attachants désaxés. Ici, Koistinen, un gardien de nuit hiératique, est berné par une femme qu’il croit avoir séduit. Ce qui fait la force du cinéma de Kaurismäki, sa superbe ambiguïté, c’est cette image lisse, débarrassée de toute perspective et découpée au millimètre par d’intenses éclairages néo-expressionnistes. Cette obsession de la transparence des corps et des formes, de leur immédiate évidence, est non seulement une splendide intuition figurative mais aussi ce qui mine chacun de ses héros. Koistinen, comme les autres, se débat contre un sentiment de fondu progressif dans la masse sombre de la ville. Face à la disparition qui le guette, il déploie alors une énergie hors du commun, une volonté touchante tant elle semble vouée à l’échec. Avec ses gros plans frontaux, ses gestes d’une étonnante plasticité, Kaurismäki creuse le mystère incessant de ces corps, leur liberté qui est aussi leur humanité. Au-delà de ce joyeux cynisme, il est sans doute le dernier authentique anarchiste du cinéma (au sens noble du terme) : un libre penseur, filmant avec rigueur et délicatesse les ultimes soubresauts de l’humain. Alors peu importe les courants ou les modes quand il y a d’aussi précieux films.
Romain Carlioz