Les Nouveaux Chiens de garde - Documentaire (France – 1h44) de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat

Les Nouveaux Chiens de garde – Documentaire (France – 1h44) de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat

cine-Les-Nouveaux-Chiens-de-garde.jpg

Cave Canem

Quand, en 1997, Serge Halimi fait paraître son essai Les Nouveaux Chiens de garde, la gauche vient d’arriver au pouvoir et le libéralisme financier n’est plus seulement considéré comme une idéologie, mais comme « La grande vérité ». En expliquant la collusion entre pouvoir politique, pouvoir économique et grands médias, Halimi lance un pavé dans la mare. Selon lui politiques, grands patrons et journalistes mangent à la même gamelle, et ces derniers, grassement payés par les différentes prestations qu’ils exercent pour des entreprises privées, sont chargés de nous convaincre qu’il n’y a plus qu’une seule alternative : accepter le libéralisme. En s’inspirant des travaux de Pierre Bourdieu et des Chiens de garde de Paul Nizan (1932), l’auteur tire à boulets rouges sur les plumitifs. Avec ses 250 000 exemplaires vendus, Serge Halimi ouvre une brèche et crée un nouveau courant : la critique des médias. L’association ACRIMED, le journal PLPL ou les travaux du documentariste Pierre Carles sont directement issus de ce mouvement. Quinze ans après, les journalistes Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, membres d’ACRIMED, décident de faire passer l’essai du papier à la pellicule. Et c’est peu dire que le sujet passionne.
Lundi 16 janvier, la fine fleur de la presse indépendante marseillaise, Le Ravi et CQFD, organisent au Variétés une projection/débat autour du film. Même si on est depuis longtemps au fait des fricotages entre médias et pouvoir, voir ces journalistes se vautrer dans le cynisme et la compromission a quelque chose de jubilatoire. Les exemples ne manquent pas… Michel Field, l’ancien trotskyste, faisant de la pub pour Casino. Isabelle Giordano qui anime une conférence pour l’organisme de Crédit Sofinco, facturée 12 000 euros, et qui invite ensuite le patron dans son émission. Arnaud Lagardere se faisant cirer les pompes en direct sur France 2 par son employé Jean-Pierre Elkabbach (à qui personne ne demande plus de se taire). Et tout ce beau monde de se retrouver pour converser tous les derniers mercredis du mois au fameux Dîner du Siècle
Mais les journalistes ne seraient rien s’ils n’étaient pas aidés par de nombreux « experts ». Pas ceux de Manhattan ou de Las Vegas, non, plutôt une trentaine d’économistes, qui pour la plupart arrondissent leurs fins de mois dans conseils d’administration des grands groupes industriels, se partagent plateaux télé et colonnes de journaux pour défendre des idées aussi diverses que « Il faut travailler plus, il faut démanteler l’Etat, il faut réduire les charges ». Voir Jacques Attali, Alain Minc ou Michel Godet, qui comptent un millier de passages télé à eux trois en une seule année, se gargariser de la santé et de l’autorégulation du système financier mondial trois mois avant la crise des subprimes fait doucement sourire (jaune). Cette séquence donne à entendre les commentaires du trop rare Frédéric Lordon, sûrement l’économiste le plus intelligent de France.
Le film se termine devant une salle enthousiaste. Le public semblait, il est vrai, conquis d’avance. Car, comme le fait remarquer un spectateur, «Malheureusement, ici, il n’y a que les gens qui lisent, le peuple n’est pas là. » Grincement de dents… Les intervenants mettent un bémol à la diatribe anti-journalistes développée dans le film. Michel Gairaud, rédacteur en chef du Ravi, rappelle que si la publicité dicte les choix éditoriaux des journaux, c’est bien parce qu’avec la désertion des lecteurs, elle est la principale pourvoyeuse de fonds. Pour Gilles Lucas de CQFD, la soumission des journalistes au pouvoir est comparable à la soumission d’un ouvrier aux contraintes capitalistes, tout le monde se tait pour ne pas perdre son boulot. Le débat se termine sur la judicieuse proposition d’un spectateur : « De nos jours, la principale source d’information est l’image, il faudrait que l’école éduque aussi les élèves au décryptage de cette image. »
Les Nouveaux Chiens de garde est un film partisan c’est sûr… Mais à l’inverse de ceux qu’il dénonce, il avance à visage découvert

Daniel Ouannou