Les Particules élémentaires © Simon Gosselin

Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq par la Cie Si vous pouviez lécher mon cœur

L’Interview
Denis Eyriey (Cie Si Vous Pouviez Lécher Mon Cœur)

 

En 2011 déjà, ils étaient salués pour la création française de Tristesse animal noir d’Anja Hilling, au Théâtre de Vanves à Paris. L’année suivante, c’est sous les ovations que repartirent d’Avignon Julien Gosselin et sa troupe, après avoir créé la bonne surprise du festival grâce à une adaptation des Particules élémentaires de Michel Houellebecq. De passage à la Friche à l’invitation de la Criée pour trois représentations à guichets fermés, la compagnie Si Vous Pouviez Lécher Mon Cœur nous a un peu ouvert le leur, par l’entremise de Denis Eyriey, l’acteur qui campe l’écrivain tapageur.

 

 

Julien Gosselin a dit considérer Les Particules élémentaires comme un roman majeur de Houellebecq, et c’est un avis assez unanimement partagé, en dépit des vives critiques dont il a fait l’objet à sa sortie. En général, quels ont été les retours des spectateurs ? 

Même s’il est toujours difficile de faire des généralités, il me semble que ceux qui aiment l’écriture de Houellebecq sortent contents du spectacle. La pièce de Julien met en exergue la beauté de la langue « houellebecquienne », sa poésie et son humour. Par ailleurs, le fait que des corps jeunes prennent en charge des personnages plus âgés (dans le roman, les personnages ont plutôt 40-50 ans) donne une nouvelle dimension au roman : il y a une résonance très forte avec ces clones dont l’auteur parle à la fin de son roman. La jeunesse des comédiens fait ressortir la pulsion de vie que l’on peut retrouver chez Houellebecq mais qui n’est pas forcément évidente aux yeux du lecteur.
Pour les spectateurs qui ne l’aiment pas, la plupart des retours étaient assez optimistes : la pièce leur a permis de regarder son œuvre autrement, ou leur a donné envie de lire ses autres romans.
Ce qui est intéressant, c’est également de constater le nombre de spectateurs qui sont venus nous voir après la représentation, nous avouant qu’ils n’avaient jamais lu Houellebecq, influencés par ce qu’ils avaient pu lire dans la presse ou ailleurs. Je crois que la pièce leur a donné envie de remédier à cela.

 

Justement, lors de sa création à Avignon en 2013, alors que le pari était de taille, la pièce a reçu des dithyrambes : on n’en finissait plus de saluer la modernité, la fraîcheur, la jeunesse du metteur en scène et de son équipe. Quelle a été la recette de ce succès selon vous ? Dans quel état d’esprit étiez-vous à ce moment-là ?

Tout d’abord, je pense que dans tout succès il y a une part de chance, irrationnelle, qui ne s’explique pas tout à fait.
Si je devais trouver des raisons, je pense que la réussite du spectacle tient à quelques éléments. Le premier est la nécessité pour Julien de monter Houellebecq sur une scène de théâtre, et en particulier ce roman. Michel Houellebecq parle du « noyau de nécessité » avant d’écrire un roman ; je crois que Julien Gosselin a éprouvé ce même sentiment avant de se lancer puis de nous inclure dans cette aventure. Le travail de répétition a également été un élément important. Nous avons pu répéter trois mois, ce qui est rare de nos jours, et de manière très dense, avec la vidéo, la lumière, la musique. L’engagement des comédiens et des techniciens était sans faille et nous avancions, reculions, doutions tous ensemble. Ce travail, sans être nécessairement palpable, nous a permis d’aboutir à une matière telle que l’envisageait Julien : une pièce ambitieuse. En ce qui concerne notre état d’esprit pendant le festival, c’était assez singulier. Dès l’entracte, nous sentions bien qu’il se passait quelque chose et nous avons constaté que les gens étaient très enthousiastes dès l’issue de la première. Cependant, il faut se remettre dans le contexte : nous ne savions tellement pas comment allait être reçue l’écriture de Houellebecq sur un plateau de théâtre, que la surprise l’a largement emporté. Julien a très bien su nous préserver de cet engouement et a trouvé les mots justes pour que nous restions vigilants et continuions à travailler pendant les représentations. L’enthousiasme du public et de la presse nous a ravis, évidemment, mais nous nous rendions bien compte qu’il fallait désormais être à la hauteur de l’attente grandissante des spectateurs. Encore aujourd’hui, en plein milieu de la tournée, nous nous rendons bien compte que c’est une chance rare et que nous devons rester concentrés. Il est tellement plus facile d’être déçu d’une pièce dont on nous a promis le meilleur que de surprendre les gens lorsqu’ils craignent le pire…

 

Julien Gosselin revendique un théâtre contemporain, ultramoderne, qui s’appuie sur les codes d’aujourd’hui. Comment cela se traduit-il dans le travail avec les acteurs ? 

Je ne suis pas sûr que Julien revendique un théâtre ultramoderne. Il admet volontiers ses références, les idées prises ici ou là. Il souhaite simplement qu’il n’y ait aucune barrière métaphorique entre le spectateur et ce qu’il voit sur le plateau. Il veut que le spectateur puisse s’identifier aux personnages ou tout du moins les reconnaître rapidement, comme s’il pouvait les croiser dans la vie. C’est ce qui l’a amené à choisir un roman. Et c’est là peut-être qu’il y a une modernité. Aussi bien avec les acteurs qu’avec les divers éléments techniques, Julien se pose la question de comment retranscrire le roman. Nous sommes constamment dans la faisabilité et non dans l’idée. Nous n’avons pas à essayer de comprendre l’idée ou la métaphore que Julien a à l’esprit, nous envisageons avec lui la manière de faire un théâtre qu’on aime avec ce matériau. Il me semble qu’une des grandes forces de Julien est d’aimer profondément le théâtre et de travailler tout de suite avec toutes ses composantes. Il ne fait pas de différence entre un acteur, la vidéo, la lumière ou la musique. Tout est en branle dès le premier jour de répétitions. Ainsi, la direction d’acteur à proprement parler n’arrive que dans un second temps, mais le travail effectué jusqu’alors a permis à Julien de nous glisser des pistes. Tout est dès lors plus simple.

 

Houellebecq est un écrivain controversé, controverse qu’il alimente sciemment, suscitant l’admiration des uns et les foudres des autres (ndlr : l’interview a été réalisée avant la sortie de Soumission). Quelle approche avez-vous choisie pour chausser ses souliers ?
Julien trouvait excitante l’idée d’apporter un corps ultra réaliste, presque cinématographique, sur un plateau de théâtre. C’est ce que j’ai essayé de faire sans pour autant tomber dans la performance. J’ai commencé alors à chercher des images de Michel Houellebecq. Cela peut paraître étrange aujourd’hui après la grande rentrée médiatique qu’a connu Houellebecq (avec la sortie de deux films et des concerts), mais à l’époque de la création, il n’y avait qu’assez peu d’images du corps de l’auteur. Il y avait évidemment beaucoup d’interviews mais il était toujours assis. La grande difficulté était donc de comprendre comment se mouvait ce corps, comment il se posait, se relevait… Heureusement, grâce à internet, j’ai pu trouver quelques pistes. Ses mains m’ont vite paru être un élément de travail intéressant. Tout le monde connaît sa manière de fumer, mais il a également une façon très particulière de les placer, près de son visage, lorsqu’il écoute ; elles sont très gracieuses. Son écoute aussi est singulière : on pourrait croire qu’il dort mais en fait il écoute de toute son âme comme s’il envisageait des éléments de réponses à chaque nouveau mot prononcé par son interlocuteur. Enfin, le costume évidemment a été un appui très précieux. En ce qui concerne l’image de l’auteur controversé, je ne m’en suis pas préoccupé. A mon sens, Houellebecq ne l’est pas, il suscite quelques polémiques bien malgré lui. Très souvent, les gens ne retiennent que quelques phrases, sorties de leur contexte, et cela ne reflète pas son propos.

 

Le roman date de 1998 et pourtant, il paraît encore d’actualités. Il y est question d’intime, à travers la destinée de deux frères, mais aussi du futur de l’humanité, d’une évolution de l’homme comme étape programmée qui annihilerait le concept d’individu au profit de celui de groupe. Comment dialoguent ces deux plans ? Pensez-vous que le genre humain tel qu’on le connaît soit voué à l’extinction ?
Houellebecq répond de manière pragmatique aux questions qu’il pose dans le roman. Face à une misère sexuelle croissante, à une triste solitude de plus en plus en lourde à porter, une quête incessante du corps de l’autre, comment faire ? Houellebecq propose comme élément de réponse une néo humanité, dégagée de ces préoccupations grâce à une révolution scientifique et génétique. Y répond-il sérieusement ? Je ne sais pas, je ne crois pas. Il me semble qu’il traite cette réponse avec humour et s’amuse à écrire de la science-fiction. Il dit : ce serait possible.
L’état émotionnel dans lequel il met ses lecteurs (une profonde compassion) permet en revanche que l’on s’interroge réellement sur la pertinence de cette proposition.
Une des raisons de l’atemporalité du roman et de son écriture en général est qu’il cherche toujours à concilier la petite et la grande histoire. Son propos prend ainsi une dimension universelle.

Propos recueillis par Barbara Chossis

 

Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq par la Cie Si vous pouviez lécher mon cœur :

  • du 8 au 10/01 à la Friche la Belle de Mai (Grand Plateau – 41 rue Jobin, 3e).
    Rens. theatre-lacriee.com

  • les 16 & 17/01 à Châteauvallon (Ollioules, 83). Rens. chateauvallon.com