Tran To Nga

Les Procès du siècle – Saison 3 au Mucem

Enquêtes de sens

 

Utilisant les codes des prétoires afin de dynamiser le propos et ne pas traiter les sujets de manière unilatérale, les Procès du Siècle reviennent au Mucem pour une troisième saison consacrée aux « luttes en partage ».

 

 

C’est le procès qu’on attendait avec impatience. Mais ce n’est ni celui, bien qu’inédit, de l’actuel garde des Sceaux pour prise illégale d’intérêt, ni celui, édifiant, de cet horrible gang de mafieux nigérians à Marseille relaté par nos amis de Marsactu. Cette audience-là, tous les appelés à la barre ne craignent pas de s’y présenter, bien au contraire. Et pour cause, le Procès du Siècle ne convoque ni de délinquants en col blanc, ni de criminels, mais des activistes, des artistes, des philosophes et des chercheurs, « grands témoins » invités par le Mucem à apporter leur expertise face aux combats qui agitent nos sociétés contemporaines. Et le box des accusés ne désemplit pas, en ce siècle traversé de « déséquilibres mortifères » : dérèglement climatique, discriminations multiples, écocides, féminicides, violences policières…

Prenant la forme de procès fictifs se tenant chaque lundi soir de novembre à mars dans l’auditorium du musée transformé pour l’occasion en salle d’audience, ces « espaces de délibérations citoyennes » s’articulent autour de témoignages produits tous les samedis lors de la « Commission d’enquête », un atelier de réflexion et d’art oratoire destiné à « vivifier notre esprit critique » sous la houlette du metteur en scène Grégoire Ingold et de la comédienne Fabienne Jullien. Les « pièces à conviction » proviennent quant à elle de l’étonnante collection du Mucem. Des objets plus parlants qu’il n’y paraît, à l’instar de ce « manuscrit d’accouchée » sorti des vitrines la saison dernière, espèce d’amulette censée protéger les femmes durant l’accouchement, ou de la guitare peinte par Gabi Jimenez, symbolisant les discriminations subies par les Tsiganes.

À l’issue du débat, plus qu’un verdict qui, à l’ère de l’anthropocène, condamnerait sempiternellement (et vainement) l’être humain, les séances livrent des « résolutions », des éclairages, voire des pistes de solutions. Le tout est capté afin de réaliser une passionnante série de podcasts, dont les deux premières saisons sont d’ores et déjà en ligne.

Après l’urgence environnementale en saison une et les féminismes l’an passé, l’édition 2023 entend explorer les « luttes en partage », celles pour les droits humains et les droits de la Terre, autrement dit « les causes à défendre pour mieux vivre ensemble, et mieux habiter notre planète. » Vaste programme, qui conduira au prétoire des personnalités aussi diverses que la jeune journaliste et autrice Salomé Saqué — en dialogue, lors de la séance inaugurale le 20 novembre, avec le sénateur David Assouline autour des multiples crises auxquelles doit faire face sa génération — et la vénérable Michelle Perrot, 95 printemps, pionnière en matière d’histoire des marges, des femmes et du genre (le 15 janvier). L’activiste Camille Étienne et le délégué général de Notre Affaire À Tous Jérémie Suissa questionneront l’efficacité de l’utilisation du système judiciaire pour contraindre les États à agir pour limiter le réchauffement climatique (le 11 décembre), tandis que la Franco-Vietnamienne Tran To Nga, qui a porté plainte contre quatorze multinationales de l’industrie agro-chimique pour avoir produit le dévastateur « agent orange », racontera son combat en compagnie de l’avocat Philippe Sands, faisant le lien entre écocides et crimes coloniaux (le 8 janvier). Un autre avocat, Slim Ben Achour, précurseur en matière de lutte contre les contrôles d’identité, et le journaliste et réalisateur David Dufresne (à qui l’on doit l’indispensable documentaire Un pays qui se tient sage) se demanderont pour leur part ce que contient l’expression « violences policières » (le 5 février). La philosophe et écrivaine Nadia Yala Kisukidi et l’enseignante-chercheuse Maboula Soumahoro reviendront quant à elles sur l’œuvre de Claude McKay (édité par la maison marseillaise Héliotropismes), qui fait, aujourd’hui encore, écho aux luttes des minorités raciales telles que celle menée par le mouvement Black Lives Matter (le 4 décembre).

On notera que la majorité de ces « grands témoins » sont des femmes, un point de plus à mettre au crédit de ces Procès du Siècle, qui entendent donner la parole à des spécialistes (peu importe leur genre), mais aussi et surtout aux personnes concernées par les thématiques ici abordées. Comme un pied de nez à la chaine « d’info » du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré qui, il y a peu, invitait pas moins de six hommes à débattre de… la ménopause.

C’est d’ailleurs une femme qui ouvrira exceptionnellement cette troisième saison, le jeudi 16 novembre : invitée conjointement par Opera Mundi (dans le cadre de son cycle « De l’eau. De la terre aux océans »), le Mucem et « ses » maisons d’édition (Rue de l’échiquier et la marseillaise Wildproject), la militante écologiste indienne Vandana Shiva donnera une conférence sur sa « vie de combats » pour les femmes, l’eau et la terre, proposant depuis cinquante ans un contre-récit au modèle de développement de notre société. Tout un symbole de ces « luttes en partage », indispensables pour célébrer le vivant.

 

Cynthia Cucchi

 

Les Procès du siècle – Saison 3 : du 20/11 au 11/03/2024 au Mucem J4 (2e).

Ouverture exceptionnelle le 16/11 à 19h.

Rens. : www.mucem.org

Le programme complet des Procès du Siècle ici