Les promesses de l’ombre – (USA – 1h40) de David Cronenberg avec Viggo Mortensen, Naomi Watts, Vincent Cassel…
Matrioshka blues
Sans dévoiler une secrète ramification de l’intrigue, ni même dénouer un nœud essentiel du récit, on peut dire que Les promesses de l’ombre se termine exactement comme A History of Violence : le visage ravagé, magnétique et implorant de Viggo Mortensen fait face à l’œil de Cronenberg. Avant lui, le sang a calmement souillé l’objectif. Après lui, sans doute le manège recommencera-t-il, mais au bout du chemin, il ne reste plus que son corps défait. Plan sec et magnifique. Plan symptôme d’une œuvre incroyablement cohérente où la déconstruction tient paradoxalement lieu d’équilibre. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur David Cronenberg et sur son dernier film : la froide densité avec laquelle il écaille le vernis du thriller, son goût assumé pour le Grand Guignol, la distanciation méthodique et précise de chaque cadre, ou bien sa superbe gestion de l’acting (Viggo Mortensen impressionnant, Naomi Watts à nouveau lynchienne). Mais tout cela n’est rien en comparaison de la puissance hallucinante de l’écriture cinématographique du Canadien. Les Promesses de l’ombre, tout comme A History of Violence ou eXistenZ en son temps, aurait pu n’être qu’une réflexion plus ou moins maniériste sur le genre, ses origines et sa chute. Or, Cronenberg a un sens aigu de ce qui fait politique au cinéma. Doucement, insidieusement il élabore une histoire de l’humanité à la fois minée par sa peur panique de l’effraction (corporelle, structurelle, sociétale) et irrésistiblement portée par son désir de conquête (territoriale, familiale). Une esthétique du repli, en somme, aussi morbide que magistrale.
Romain Carlioz