Les Rencontres d’Averroès 2010
Des hauts et débats
Associant débats, expositions, projections et spectacles autour de la problématique « Méditerranée, un monde fragile ? », les Rencontres d’Averroès se poursuivent avec le même credo : servir l’échange et la pensée.
En 2010, les questions d’environnement sont plus présentes que jamais. Le réchauffement climatique met les pays industrialisés au pied du mur, le progrès tel qu’on l’a connu n’a plus cours et il devient vital d’opérer un changement dans les façons d’évoluer. Or, le changement se pense, se débat. Les Rencontres d’Averroès prennent à leur tour le problème en main.
Bref rappel historique : en 1994, Thierry Fabre a l’idée d’un événement qui, tous les ans, ouvrirait la discussion autour d’une thématique propre à la Méditerranée. Politique, philosophie, sciences… : les disciplines se coudoient volontiers. L’important est de donner à penser la Méditerranée depuis de nombreux points de vue. Avec le temps, les Rencontres d’Averroès ont acquis un rayonnement international. Les peuples de la Méditerranée savent depuis toujours que la richesse se trouve dans l’échange. « Penser la Méditerranée des deux rives » : le mot d’ordre des Rencontres et le choix du nom d’Averroès sont les marques visibles de l’état d’esprit qui fonde l’évènement. Le philosophe arabe, de son vrai nom Ibn Rushd, apporta énormément à la pensée européenne, mais l’obscurantisme de la pensée médiévale le fit passer sous silence peu après sa mort. Les Rencontres s’inscrivent donc dans une logique de reconquête du dialogue entre les pensées méditerranéennes.
Point d’orgue de la manifestation, les tables rondes proposent trois journées de débats sur trois thèmes différents : la mer, la terre et l’avenir. Un vaste programme, sur lequel des spécialistes sont invités à échanger entre eux et avec le public — qui ne se prive pas de réagir. Thierry Fabre tient à conserver le meilleur rapport possible avec le public : la densité des échanges ne doit pas entamer leur accessibilité, la clarté doit aller de pair avec la complexité. Pour les plus jeunes, le dispositif Averroès Junior, basé sur un partenariat au long cours entre lieux scolaires et culturels, a pour but de les accompagner, de les amener à s’interroger et à réaliser que la culture n’est pas qu’une affaire de grands. Dans le même sens de cette ouverture au public, une antenne artistique des Rencontres a été créée pour satisfaire ceux qui aiment aborder le sujet par leurs sensations. « Sous le signe d’Averroès » propose ainsi à des artistes de donner un angle de vue différent sur le thème proposé, via des projections (« Les Ecrans d’Averroès »), rencontres, expositions (voir ci-contre)…
Pour clôturer en beauté cette nouvelle édition, le Rabih Abou-Khalil Quartet se produira à l’Espace Julien. Le musicien d’origine libanaise a conquis de nombreux territoires musicaux : le son du oud ne sert plus que la musique traditionnelle, mais improvise autour de Zappa, de Bartok, du jazz… Une musique qui met donc le cosmopolitisme à l’honneur, à l’instar de cette passionnante manifestation.
Samuel Padolus
Jusqu’au 12/12 à Marseille et en région PACA. Rens. 04 96 11 04 61 / www.rencontresaverroes.net
(L’interview)
Thierry Fabre
Le concepteur des Rencontres, par ailleurs essayiste et rédacteur en chef de la revue La pensée de midi, nous éclaire sur le passé, le présent et l’avenir de la manifestation.
Pourquoi avoir créé les Rencontres d’Averroès ? Répondaient-elles à un besoin ?
A l’origine, il n’y avait pas vraiment de besoin. Les Rencontres d’Averroès étaient une proposition libre. C’est aussi le côté positif de la culture : on peut proposer, aller à la recherche de quelque chose. Marseille est une ville méditerranéenne : il fallait aussi le dire, montrer cette réalité au public. Or, il s’est rapidement révélé qu’il y avait une réelle curiosité de savoir ce qui se trame autour de la Méditerranée. A la première édition, qui avait eu lieu au théâtre des Bernardines, il y avait autant de monde à l’extérieur qu’à l’intérieur ! Et l’on sentait dans le public une attente de savoir ce qui se passait. Dès la seconde édition, il a fallu déplacer l’évènement à la Criée, pour des raisons d’espace. Les Rencontres d’Averroès y sont restées pendant dix éditions et se sont encore déplacées, au Parc Chanot cette fois, où les tables rondes se déroulent encore aujourd’hui.
Quel est l’apport de la discussion entre des spécialistes de différents domaines et les artistes ?
Les Rencontres d’Averroès s’articulent autour du débat d’idées. Mais on ne connaît pas qu’avec sa tête ! On connaît avec ses sentiments aussi… L’extension « Sous le signe d’Averroès » n’est pas seulement une ouverture au grand public, parce que l’art est plus accessible que les idées. C’est aussi une manière de connaître d’autres aspects de la problématique. La transversalité est à l’ordre du jour : les artistes aussi déplacent les frontières, maintenant.
Les Rencontres d’Averroès pourraient-elles avoir une perspective politique ?
Nous sommes intéressés par le politique, oui… pas par la politique. Les Rencontres d’Averroès sont un événement de dimension internationale, alors ses problématiques ne peuvent éviter une dimension politique. Mais ce n’est pas de la politique, ce n’est pas politicien.
Qu’en est-il des collaborations avec l’étranger ?
Nous avions lancé une édition à Alger, mais elle a dû être interrompue. Nous travaillons avec la ville de Rabat : « Sous le Signe d’Ibn Rochd » a lieu dans cette ville pour la deuxième fois cette année. Enfin, Cordoue, ville natale d’Averroès, accueillera « Encuentros Averroes » l’année prochaine. Cordoue est candidate pour devenir capitale culturelle en 2016, et l’accueil d’un tel événement permettra un riche échange.
Propos recueillis par Samuel Padolus
Prologue
L’exposition Paysages sensibles est un projet pilote de ce que pourrait être Marseille capitale européenne de la culture. C’est-à-dire un recoupement d’informations et de points de vue sur ce qui unit le pourtour méditerranéen dans son mode de vie, son urbanisme, sa ligne d’horizon et son histoire.
Quel écart entre le littoral de Marseille et celui de Beyrouth ? On se surprend à constater que, très souvent, notre perception se brouille et que les deux villes peuvent se confondre dans leur lumière, leur arsenal, leurs autoroutes qui défoncent le centre ville et ces terrains vagues qui traduisent un urbanisme construit sur la loi du plus offrant. Paysages sensibles offre au medium photographique un sujet au potentiel intact. Des petits travaux de Mathias Poisson sur les comparaisons et similitudes de territoires, on se laisse emporter par les tirages monumentaux de Valérie Jouve, Jean Louis Garnell, Jean-Marc Bustamante et Andrea Keen. Là, on quitte le romantisme de la villégiature et de la promenade du bord de mer pour entrer dans une histoire de la photographie qui prend comme point de départ les travaux conceptuels du couple Bernd et Hilda Becher. Dans L’ordre du discours de Michel Foulcault, il est question de se réapproprier des fragments de textes et d’images, à la manière d’un zoom, pour mieux trouver ce qui nous concerne à l’intérieur du panorama de la carte postale. On découvre des zones semi habitées, des terrains en friche à la lisière d’un complexe pétrochimique, une colline nous offrant la vue magnifique d’une barre d’immeuble. Tout un inventaire de lieux communs qui donne à l’artiste un décor pour poser le sujet. La technique du tirage et de l’encadrement devient un enjeu de premier plan, qui vient concurrencer la peinture et inscrire la photographie dans une démarche muséale. Cette exposition est une occasion formidable pour le FRAC de sortir de sa collection des œuvres connues de tous, mais qu’on a rarement l’occasion de voir. A l’heure où Marseille attend encore ses musées, Paysages sensibles expose une esquisse de nos trésors cachés.
Texte : Karim Grandi-Baupain
Photo : Jean-Louis Garnell, Collection FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur © ADAGP, Paris 2010
Jusqu’au 19/12 au Mucem, Fort Saint-Jean (entrée par la Tour d’assaut – Môle J4, 2e).
Rens. 04 91 59 06 87 / 04 96 11 04 61