Hors case
Déjà la neuvième édition des Rencontres du 9e Art, le festival aixois de BD mais aussi et surtout d’arts associés, qui mêle montages, expositions et grandes œuvres pas toujours en rapport avec le présupposé thème de cette désormais incontournable manifestation.
En attendant le traditionnel week-end BD à la Cité du Livre, des expositions dispersées aux quatre coins de la ville permettent aux amateurs d’art en tout genre de mettre un pied dans cet univers ultra codifié que l’on pense souvent réservé aux seuls geeks.
C’est le cas notamment à cette même Cité du livre, premier arrêt à l’entrée de la ville où quatre expositions se chargent de vous surprendre. A commencer par Cubdes, une exposition « carte blanche » où quatre artistes ont pour mission d’investir l’espace de quatre grandes boîtes de 15 m3. On s’attardera plus particulièrement sur la boîte d’Anouk Ricard, qui se joue des visiteurs curieux, ou bien celle de Matthias Lehmann, qui appâte le chaland à coups de toiles aguicheuses. En face des boîtes, des affiches plus drôles les unes que les autres envahissent un couloir, jusqu’à nous faire oublier que ces illustrations sont de réelles archives d’un Institut National pour la prévention des accidents du travail. Toujours à la Cité du Livre, l’exposition Génération Spontanée, sorte de mini musée venu tout droit de Belgique, nous présente des grands formats surprenants faisant appel à plusieurs techniques de dessins, du stylo bille à la gravure sur bois en passant par le sang de bœuf (!). Le tout agrémenté de diverses projections vidéo, dans une ambiance sombre et ordinaire à un musée d’art classique.
Un peu plus loin en ville, l’exposition de Seb Niark1 à Seconde Nature nous surprend elle aussi avec des tableaux et d’immenses toiles pleines de couleurs et de formes, évoquant des animaux mutants tout droit sortis d’un univers parallèle.
Les amateurs d’art plus classique trouveront quant à eux leur bonheur dans différentes petites galeries pittoresques, qui accueillent des dessins en noir et blanc inspirés du paysage marseillais ou les gravures du Japonais Mitsushige Nishiwaki (à la galerie Regard contemporain).
Pour finir ce petit tour aixois, n’hésitez pas à faire escale à la galerie nomade Arts Factory, où les caricatures de Charles Burns, qui se moque des trombinoscopes trop parfaits des lycéens américains, ne manqueront pas de vous charmer.
Texte : Alexandra Piche
Illustration : Seb Niark1
Les Rencontres du 9e Art : jusqu’au 30/04 dans divers lieux d’Aix-en-Provence.
Week-end BD : du 13 au 15/04 à la Cité du Livre (8-10 rue des Allumettes).
Rens. www.bd-aix.com
Au chaud dans ses bulles
Discussion de port à port avec Agnès Maupré, Marseillaise exilée au Havre et représentante d’une nouvelle garde de la bande dessinée sur laquelle on fonde de beaux espoirs. Portrait d’une artiste pleine de talent et de promesses.
Agnès Maupré n’a pas encore trente ans et, comme beaucoup de personnes de sa génération, a grandi en lisant Gaston ou Astérix, avant de découvrir, à l’adolescence, Alberto Breccia, Daniel Clowes ou encore Joann Sfar. Au chapitre des références, son auteur préféré reste Reiser, dont la dernière page de Gros dégueulasse constitue pour elle la plus belle des planches de bande dessinée. Une révélation qui pousserait toute personne sensée à se lier d’amitié avec elle.
Dessiner pour s’évader
Celle pour qui « créer n’a jamais été une mission, mais une façon de (se) sauver de l’ennui » se tourne rapidement vers le dessin, son moyen d’expression de prédilection. Artiste dans l’âme, au moment d’orienter ses études, elle n’ambitionne pas d’embrasser une carrière mais de trouver un enseignement qui puisse l’aider, lui donner la force d’arriver à quelque chose. Ce que l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris lui offrira, notamment par l’apprentissage de la morphologie et sa vision du dessin, intime, chaleureuse et pleine d’enthousiasme. Pour Agnès, tout est avant tout question de proximité avec l’œuvre. La jeune femme croit en l’importance de mettre de l’intime dans une narration et « tombe dans des gouffres de passion pour des sujets ou des personnages » qui lui donnent l’énergie créatrice.
Après des débuts timides, se sentant « trop arty pour intégrer la famille mainstream et, à l’inverse, pas assez futée pour faire partie des indépendants », elle saura trouver sa place dans le milieu des illustrateurs, notamment avec le récent Milady de Winter. Cette adaptation des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas lui a imposé une recherche méticuleuse de documentation sur les costumes, le mobilier ou l’histoire. Une préparation nécessaire car, comme elle se plaît à le confesser, elle est « nulle pour bluffer ». En atteste le travail accompli en amont de sa précédente bande dessinée en solo, Petit traité de morphologie, une retranscription en dessins des cours dispensés par son professeur d’alors, Jean-François Debord, qui aura nécessité des heures d’analyse de vidéos et de compilation de notes…
Critique vis-à-vis de ses travaux passés, notre perfectionniste se rêverait plus fine, plus précise dans les gestuelles et les expressions. En deux mots : plus solide. Pour elle, le dessin est « quelque chose de vivant, on s’améliore, mais on perd des choses, on change d’un livre à l’autre. »
Cure de jeunesse
La volonté première d’Agnès est de raconter des histoires en utilisant un média qu’elle estime comprendre « un peu ». Plus jeune, elle s’imaginait écrire un roman un jour, avant de délaisser l’écriture seule à cause de ses complexes d’adolescente et de la marier au dessin, une technique dans laquelle elle se sent à l’aise.
L’illustration ne se résumant cependant pas à l’expression de son moi le plus profond, l’artiste est aussi connue pour ses activités dans la catégorie jeunesse, principalement des commandes nécessitant une moindre implication émotionnelle ; ce qu’elle reconnaît avec franchise. Si la jeune femme est parfaitement lucide sur la différence d’investissement entre un travail de création et les demandes d’un éditeur, indispensables pour subvenir à ses besoins et acquérir de l’expérience tout en continuant à s’exprimer, elle porte un regard attendri sur certaines de ces créations.
Touche-à-tout, celle qui s’adonne au chant ou à la nage en mer à ses heures perdues a collaboré à l’adaptation animée du Chat du Rabbin de son parrain et figure tutoriale Joann Sfar. De quoi se prêter à rêver ? Là encore, elle fait preuve de pragmatisme, déclarant avoir tiré un peu plus de rigueur au contact de « dessinateurs extraordinaires »… tout en regrettant les pauses déjeuner conviviales du travail en équipe !
Agnès donne l’image d’une grande rêveuse qui se complaît dans ses bulles, avec en tête encore beaucoup d’histoires à raconter et suffisamment de talent et de rigueur pour toucher à nouveau son public.
SV
Dans les bacs : Milady de Winter, T. 1 et 2 (éditions Ankama – cf. Ventilo 196)
Rens. http://agnes.maupre.over-blog.com/
Agnès Maupré œuvre actuellement sur deux créations : Le Chevalier d’Eon, mise en dessins de la vie de l’espion de Louis XV (une nouvelle histoire à costumes) et La Cour volante, écrite par Karen Guillorel, qui n’a toujours pas trouvé d’éditeur à ce jour. A bon entendeur !
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FOCUS
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Les éditions Ankama
Si Ankama s’est fait connaître du grand public en 2004 avec son jeu vidéo Dofus, la société s’est rapidement lancée dans l’édition afin de proposer des produits dérivés de sa série-phare. Son triomphe fulgurant a permis à ses dirigeants de l’entraîner vers de nouveaux univers (BD donc, dessin animé, presse ou musique) et d’étoffer considérablement son offre.
Ce début d’année a été marqué par une continuité dans la recherche de titres de qualité autour de quelques collections particulièrement ciblées. Ainsi, Label 619 propose des séries décalées et couronnées de succès comme Mutafukaz ou Tank Girl, tandis que Hostile Holster représente la face noire de l’éditeur (en atteste l’efficace Gyakushu !, chroniqué dans ce numéro) et que Pulp Heroes plonge dans les racines comics, notamment via la série First Wave scénarisée par le fameux Brian Azzarello. Sans oublier d’autres collections (Etincelle, Kuri ou Krosmoz), destinées à un public multiple mais tout autant exigeant.
Un jeune éditeur passionné et n’hésitant pas à investir tous azimuts en 2012 ? En ces temps de crise de l’édition, l’effort est louable et l’initiative à saluer.
SV
Rens. www.ankama-editions.com/fr