La belle endormie sait parfois exciter les papilles des jazzfans par la conjonction d’évènements exceptionnels, dans des équipements publics somptueux. Ainsi de l’association du Grand Théâtre et du Conservatoire Darius Milhaud pour la venue du pianiste Andy Emler qui se voit offrir, avec son trio ETE (avec Claude Tchamitchian à la contrebasse et Éric Echampard à la batterie), une carte blanche dans les murs de ce dernier. C’est tout à l’honneur de l’institution pédagogique de recevoir ce trublion du jazz qui, s’il connaît une estime critique et publique, n’en a pas moins souvent été dédaigné par les « officiels » des musiques de jazz. Grand découvreur de talents (Thomas de Pourquery notamment), défricheur de chemins musicaux improbables à la tête de son Megaoctet, cet outsider s’associera pour la seconde partie de la soirée à l’Orchestre Symphonique du Conservatoire Darius Milhaud, conviant pour l’occasion des élèves de l’Institut des Études Musicales Supérieures. Gageons que ces derniers s’imprégneront des ondes du trio invité pour en transmettre la substantifique moelle dans leurs parcours musicaux ultérieurs. Quand le pédagogique et l’artistique se combinent ainsi, cela ne peut qu’entretenir le feu du jazz. Les murs du conservatoire aixois résonneront également du poignant saxophone ténor de Sylvain Rifflet. Venant donner son hommage à Stan Getz, Re-Focus, ce « jeune maître » des notes bleues n’a pas son pareil pour raviver la flamme de celui que l’on surnommait « The Sound ». Sublimant la chaleur et l’émotion qui émanaient de son illustre prédécesseur, agrémentant ses propositions d’un somptueux quatuor à cordes, il conduit ses auditoires dans un maelstrom de sensations colorées dont le swing le dispute à la poésie. Quant à la prestation du trio de Brad Mehldau au Grand Théâtre, on s’en régale d’avance. Naviguant désormais dans les limbes d’une popularité musicale qui n’obère en rien son sens de l’exigence artistique, le pianiste, qui lorgne vers des standards de la pop (Radiohead, Beatles…), n’en est pas moins un authentique jazzman. Que l’on se souvienne de cette renversante livraison de Si tu vois ma mère de Sidney Bechet à Vitrolles il y a quelques années, ou que l’on songe à sa rythmique d’exception (l’ampleur du son du contrebassiste Larry Grenadier, le drive sans pareil du batteur Jeff Ballard, qui accompagna Ray Charles) avec qui l’interplay atteint des instants de grâce… La formule de ce trio, loin d’être éprouvée, recèle bien des surprises, ne serait-ce que dans l’exécution toujours changeante des subtiles compositions du leader.
LD
> Du 11 au 17 au Théâtre du Gymnase (Marseille), au Grand Théâtre de Provence et au Conservatoire Darius Milhaud (Aix-en-Provence)
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