Le principe d’incertitude
Décembre 2009 : le Groupe de Recherche et d’Improvisations musicales de Marseille fête ses trente ans. Retour sur l’actualité d’une histoire passée à contre-courant des modes et du temps.
Le jeune Jean-Marc Montera aimait le rock, Johnny, les Rolling Stones. Ce sont ses amis et bientôt co-fondateurs du GRIM qui sortaient de la fac de musicologie et écoutaient du jazz, du Stockhausen, du Soft Machine… S’il n’avait pas eu ces amis-là (Gérard Siracusa, André Jaume, Lionel Dublanchet et Jacqueline Ripart), il n’aurait peut-être jamais rencontré des génies tels que Derek Bailey (qu’il compare à Jimi Hendrix et à Django Reinhardt : « Ces gens-là, vous ne jouez pas avec eux, ce sont eux qui vous jouent ») ou encore la musicienne Pauline Oliveros (« Il fallait voir Dj Olive, le noise maker américain : quand il était devant elle, il était devant son maître »). Parler avec ce directeur-là, c’est entrevoir plus de trente ans d’enseignements et de collaborations musicales improvisées. Et autant de moments de complicité (« Quand on s’invitait à jouer, c’était dans la continuité d’un rapport humain ») ou de leçons d’humilité (« Bosser avec des gosses, ça remet toutes les pendules à l’heure : il faut être d’une précision remarquable ou bien ils ne manqueront pas de te rappeler que tu n’as pas, ou mal, donné toutes les infos »). Jamais gratifié du label « musiques savantes », le GRIM s’est fait en dépit des politiques culturelles musicales (« Les débuts de l’IRCAM ont posé en France des murailles de Chine autour de ce qui peut relever de la musique savante (…) avec les budgets qui suivent… »). Il a fallu montrer patte blanche, affirmer une programmation respectable et pointue. Maintenant que les griffes sont rentrées, toutes les musiques de traverse peuvent s’inviter à la fête. On l’a vu avec Lightnin’ Bolt et Do Make Say Think, et cette semaine avec Sister Iodine : même le rock alternatif le plus iconoclaste est de la partie. Le GRIM a le même genre d’objectifs que toutes les salles de concerts à la programmation exigeante : « Le jour où on n’arrivera plus à être excités par quelque chose qui dénote un petit peu par rapport à la sonorité ambiante, il faudra qu’on fasse autre chose ou qu’on arrête.» Les mêmes doutes et les mêmes enjeux aussi : « La programmation, c’est un peu le même type d’excitation et de pari sur l’avenir que l’impro : tout comme dans l’improvisation, le repentir est impossible. » Certes, l’approche très théorique des Sons de Plateaux (le son dans le spectacle vivant) a très peu de chances de toucher le grand public, malgré les rapprochements entamés avec le milieu scolaire. Mais le directeur du GRIM le sait pertinemment : il propose des programmes qui demandent une certaine exigence d’écoute et parvient presque toujours au bout de sa maigre jauge (100 places). Que ceux qui ne jurent que par le bonheur de voir caresser une guitare le plus spontanément possible ou de réfléchir aux potentialités offertes par le travail du son au théâtre et au cinéma se rassurent. Le GRIM va où son cœur (c’est-à-dire Jean-Marc Montera) le mène, toujours en quête d’aventures sonores et esthétiques, comme au commencement : « On faisait les choses en pensant que ça pouvait être éternel et en sachant que ça pouvait s’arrêter le lendemain. »
Jonathan Suissa
GRIM : Espace Montévidéo, 3 impasse Montévidéo, 6e. Rens. 04 91 04 69 59 / www.grim-marseille.com