Les Trois Exils d’Algérie (Une histoire judéo-berbère) par le Collectif Manifeste Rien
L’Interview
Jérémy Beschon
Entre mémoire et histoire, « entre quête personnelle et enquête historique », le collectif Manifeste Rien raconte le parcours chaotique du peuple juif de la colonisation algérienne jusqu’à l’indépendance, à partir du texte de Benjamin Stora, Les Trois Exils, juifs d’Algérie. Une histoire qui sort de l’ombre pour éclairer le présent…
Pourriez-vous résumer la pièce que vous mettez en scène ?
C’est un voyage qui nous mène des débuts de la colonisation française à l’indépendance algérienne. La comédienne donne vie à des photos de famille révélant des ruptures arbitraires qui marqueront plusieurs générations. Elle crée les lieux d’échanges et de batailles, interprète les personnages de différentes époques : leaders algériens, grands rabbins, un enfant et sa mère débarquant dans cet autre pays qu’est la France… Cette adaptation du livre de Benjamin Stora nous fait découvrir la richesse et la complexité des relations entre juifs et musulmans, en reconstituant les trois exils des juifs d’Algérie. Ils sont sortis par trois fois de ce qui était leur univers familier : passant de l’indigénat à la citoyenneté française avec le décret Crémieux en 1871 ; rejetés hors de cette citoyenneté en 1940 avec les lois de Vichy ; enfin, quittant les rives algériennes avec l’exode de 1962…
Cette pièce s’inscrit-elle selon vous dans ce que l’on nomme le « devoir de mémoire » ?
Non, il n’y a pas « l’obligation de se souvenir », ce qui est le propre du devoir de mémoire. Nous voulons simplement partager une histoire pour mieux comprendre les actuels enjeux politiques et médiatiques du modèle républicain français, ainsi que ceux de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Partager la rationalité de l’histoire en passant par une interprétation théâtrale.
D’où est venue l’idée de cette création ?
Avec Virginie Aimone, nous avons travaillé sur le monde berbère et la société kabyle avec la pièce Chacal, la fable de l’exil, une adaptation des œuvres de l’anthropologue franco-algérienne Tassadit Yacine, avec laquelle nous collaborons. Elle m’a conseillé de lire et de rencontrer Benjamin Stora. Pendant que je découvrais et dévorais les livres de référence de Stora en bibliothèque, la comédienne m’a offert les Trois exils, juifs d’Algérie, et j’ai très vite pensé à l’adapter pour la scène.
Pourquoi ce livre en particulier ?
Parce qu’il se situe entre enquête historique et quête personnelle et que, sans m’en rendre compte, c’est ce que je faisais avec l’écriture et le théâtre depuis un bon moment. Il a bien fallu que j’arrête de nier le poids de mes propres origines, comme on dit… Ma mère et mes grands-mères sont nées en Algérie, mon père en Tunisie ; certains témoignages du livre pourraient être les leurs. Ma famille est ce que l’on nomme des pieds-noirs. Ce n’est pas la même histoire que celle des juifs algériens, ni celle des indigènes musulmans, mais leurs trajectoires d’exilés respectifs sont inséparables si l’on veut comprendre l’histoire de l’Algérie, et donc aussi celle de la France.
Pourquoi un solo ?
Le solo au théâtre est fondamental pour moi, c’est une forme primitive d’expression, qui permet de déployer l’imagination et l’énergie. C’est aussi jouissif que technique. Et le maître incontesté en la matière est Philippe Caubère. A travers les différents solos que nous avons montés avec Virginie Aimone, nous avons trouvé, ou plutôt retrouvé, ce que je nomme le théâtre traditionnel, une filiation qui va d’aujourd’hui jusqu’au 16e siècle, à la naissance de la commedia… Nous sommes les apatrides de la culture dominante, nous travaillons la poésie orale, nous mêlons les contraires, nous aimons les contrastes, nous improvisons à partir de nos propres canevas.
Aujourd’hui, on apprend encore des traits de l’histoire méconnue ou peu relatée. Ça a été mon cas avec cette pièce. Quelles sont les réactions du public ? Viennent-ils attirés par le sujet ?
La plupart de gens découvrent cette histoire particulière des juifs algériens, qui permet de comprendre l’histoire de la conquête coloniale puis de l’indépendance. Cet opus, comme nos autres pièces, a une forte portée identitaire. Nous en jouons d’ailleurs sans nous y enfermer. Nous n’avons peur ni des singularités, ni de la nostalgie, qui est un affect méditerranéen important. La première réaction du public est l’émotion. A partir de là, le travail de partage intellectuel peut commencer…
D’où le débat après la représentation…
En effet, un débat est nécessaire, particulièrement avec notre répertoire. Les connaissances socio-historiques paraissent parfois délirantes tant elles vont à l’encontre de l’opinion publique et du sens commun. Alors il est toujours bon d’en discuter après la pièce. C’est notre formule en quelque sorte. Même si cela demande un travail supplémentaire, qui passe comme naturel…
Propos recueillis par Pascale Arnichand
Les Trois Exils d’Algérie (Une histoire judéo-berbère) par le Collectif Manifeste Rien : le 30/04 à la Maison de la Région (61 La Canebière, 1er), dans le cadre de la manifestation L’Espagne des trois cultures proposée par Horizontes Del Sur. Rens. http://horizontesdelsur.fr/
Pour en savoir plus : http://manifesterien.over-blog.com