L’étrange histoire de Benjamin Button – (USA – 2h40) de David Fincher avec Brad Pitt, Cate Blanchett…
L’homme sans passé
Etrange cas que celui du dernier film de David Fincher, où il faut attendre les derniers plans, magnifiques — une coulée d’eau qui s’insinue lentement dans le sillon creusé par le film — pour que ce flamboyant parcours à rebours prenne un relief insoupçonné. Soit le cas de Benjamin Button, enfant né vieillard qui traverse la vie à l’envers, rajeunissant et, par-là même, dispersant ses souvenirs au lieu de s’en créer. La belle affaire du long-métrage de Fincher, sa monstrueuse beauté, est concentrée dans ce hiatus temporel, cette volonté farouche de subvertir la durée du film par une dynamique inverse qui en contredit les fondements mêmes. Depuis Zodiac et son dessinateur anormalement jeune, Fincher semble avoir fait de cet enjeu la base d’un cinéma « rewind » où chaque séquence qui passe ne fait qu’affirmer la résistance des images au rythme du récit et, au final, leur incroyable capacité d’incarnation. Benjamin Button, dans ses plus beaux moments (une love-story au bord de l’eau, un vieillard qui joue en cachette sous une table…) est la parfaite réalisation de cette utopie. Le corps de Benjamin se transforme alors en une incroyable machine à produire des images, proposant avec lyrisme un voyage dans le cinéma américain autant qu’une histoire politique de son pays. Tour à tour ample mélodrame, film-tombeau et fresque grandiose, Benjamin Button souffre peut-être de quelques coupables baisses de régime. Pourtant, comme Coppola dans L’Homme sans âge (avec lequel il partage bien des points communs), Fincher semble tracer une voie de cinéma à la fois inédite et passionnante. Et il serait dommage de ne pas l’y suivre.
Romain Carlioz