L’événement : le festival Avec le Temps
Pour sa treizième édition, le seul festival marseillais d’envergure consacré à la chanson a vu les choses en grand : Abd Al Malik, Thomas Fersen, Pigalle, Emily Loizeau, Murat… Une programmation éclectique et plus relevée qu’à l’accoutumée, dont nous nous sommes sentis proches au point de lui consacrer notre « page 4 », en vous en présentant les grandes lignes mais aussi certains de nos coups de cœur. Qu’elle soit réaliste ou onirique, politique ou récréative, traditionnelle ou métissée, acoustique ou branchée sur le courant alternatif, la chanson d’aujourd’hui revêt mille et un costumes que tout un chacun, quels que soient ses goûts, peut endosser. Et ça n’a rien à voir avec une prétendue « nouvelle scène ». Elle est simplement le reflet des personnalités multiples qui la font, en prise avec… avec leur temps.
L’interview : Abd Al Malik
Tout juste auréolé d’une nouvelle Victoire de la Musique, Abd Al Malik est sans aucun doute l’un des artistes qui nous a le plus impressionné par son discours lors d’une précédente interview… dantesque (1). De retour à Marseille en tête d’affiche du festival Avec le Temps, il a pris le temps de répondre à nos questions, juste avant de commencer sa tournée.
Sur ton site Internet, tu expliques brièvement ta démarche, qui pourrait se résumer à ça : rendre la culture accessible au plus grand nombre, afin que chacun puisse trouver sa place dans la société. Tu es manifestement sur la bonne voie puisque tu es déjà double disque d’or avec Dante. Mais penses-tu vraiment que les gens qui achètent ton disque soient ceux qui en aient le plus besoin ?
Vendre mon disque, c’est ce qui me permet d’en faire d’autres et de continuer à être visible. Mais ce qui est important, c’est le propos : montrer que le déterminisme n’existe pas, montrer la complexité de la notion d’identité française ou de communauté nationale, montrer que la France d’aujourd’hui n’est pas la même qu’hier, montrer que transcender sa condition, ça ne veut pas dire nier qui l’on est ni d’où l’on vient, mais faire du lien. Je le fais concrètement : en allant dans les quartiers difficiles, dans des centres socio-culturels, des écoles un peu partout en France pour rencontrer des jeunes, échanger avec eux. Je représente pour eux, il n’y a pas de rupture avec les gens de mon milieu.Vendre du disque, c’est donc juste un moyen de transmettre un message, de porter une parole différente, celle d’un artiste traversé par les remous de la société — et pas celle d’un politique.
Ta démarche est fondée sur le crossover : un croisement entre les genres.
Totalement : je suis un casseur de ghettos. Tous les ghettos : ceux dans lesquels j’ai grandi, mais aussi ceux des nantis qui décident pour les autres, nous parlent de communautarisme alors qu’ils ne vivent qu’entre eux… On vit dans un monde qui catégorise : à partir du moment où tu casses ces catégories, tu peux déplaire à certains. Mais on ne peut pas arrêter le progrès. La vérité réside dans la capacité que nous aurons à nous fédérer ensemble.
Lors de notre dernière interview, tu avais utilisé un terme très fort en me parlant d’un « Plan Marshall » pour les quartiers… Penses-tu que la situation ait évolué depuis, et quel regard portes-tu sur l’action des politiques ?
Malheureusement, la situation n’a pas tant évolué que ça. Il y a plus de choses positives qui se font par le truchement de la société civile, des initiatives individuelles ou associatives, que par les pouvoirs publics qui ne comprennent pas véritablement… Ils ont sans doute de bonnes intentions — je ne juge pas — mais concrètement, que se passe-t-il sur le terrain ? On vit dans une époque où les politiques sont très vite dépassés… Il y a quelque chose qui est encore de l’ordre de l’incompréhension sur deux points : l’islam et les banlieues. Des gens continuent de penser que la diversité ne fait pas partie de la France. A l’inverse, d’autres qui sont issus de cette diversité ne comprennent toujours pas que la France est leur pays. On nous parle de diversité ? Quand je regarde la télé ou l’assemblée nationale, je ne la vois pas. Tout le monde est béat devant ce qu’il s’est passé avec Obama, mais Obama n’est un modèle d’espoir que pour les Etats-Unis ! Qu’est-ce que ça change pour nous concrètement ? Que fait-on pour mettre les jeunes des banlieues en avant ? Pour qu’il y ait de l’accessibilité aux grandes écoles, aux postes à haute fonction ?
Quel regard portes-tu sur la situation actuelle en Guadeloupe ?
C’est le prolongement direct de ce que je viens de dire. Il y a une citoyenneté à deux vitesses en France : on ne traite pas les gens des Antilles comme des Français de métropole. On voit bien qu’il y a un décalage… Je demande une seule chose à mon pays : qu’il soit à la hauteur de ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
Tu gardes un souvenir particulier de tes derniers concerts à Marseille ?
J’aime énormément Marseille. Cette ville est particulière, il y a quelque chose de très charnel, de l’ordre de l’instantanéité : les gens se reconnaissent, d’une certaine manière. La France devrait s’inspirer de Marseille, son rapport au cosmopolitisme, au vivre-ensemble. J’ai l’impression que Marseille est très en avance sur le reste du pays de ce côté-là.
Propos recueillis par PLX
Le 24 à l’Espace Julien avec Ysaé, 20h30. Rens. 04 91 24 34 10
Dans les bacs : Dante (Polydor)
www.abdalmalik.fr
La grande Sophie
Il n’y a pas si longtemps encore, il nous en aurait fallu, Du courage, pour écouter la musique de La grande Sophie. Hits taillés pour les radios, textes lorgnant sur la plume goudronnée de Zazie… : on n’y arrivait pas. Jusqu’à ce sympathique quatrième album, produit et arrangé par Edith Fambuena, la femme derrière Daho, au terrible constat : on préfèrera toujours La grande Sophie à la toute petite Anaïs.
_Le 13 à l’Espace Julien
Jean-Louis Murat
Longtemps nous avons cru en Murat. Droit dans ses bottes (crottés), sur le toit du monde de la chanson française de 1990 à 2000 — de Manteau de pluie à Mustango —, le songwriter auvergnat alignait des albums majeurs faisant fi de la pesanteur. Le tournant du nouveau millénaire mal négocié — sorties médiatiques fatigantes, frénésie créative et disques inégaux —, l’irascible troubadour s’écoute aujourd’hui comme on écoute un vieil oncle à Noël raconter la même anecdote depuis vingt ans : charmant mais inconséquent. Reste la scène, lieu de prédilection, où sa voix de velours fait toujours merveille.
_Le 14 à l’Espace Julien
Usthiax
On n’arrête plus le « filleul » musical de CharlElie Couture. Quelques mois après avoir enflammé le Théâtre de Lenche via deux très bons concerts électro-acoustiques et fait les premières parties de Raphaël — l’autre peintre sans talent — au Dôme et Dick Annegarn sur Paris, l’ami Mathias viendra défendre son impeccable Bleu palpitant avant la grand-messe de Jean-Louis Murat. Fans de Mika s’abstenir.
_Le 14 à l’Espace Julien
Emily Loizeau
Les fans de Dionysos et de La mécanique du cœur s’en souviennent encore : les deux (merveilleux) titres sur lesquels apparaissaient Emily Loizeau, tout en vocalises « sorcières », éclipsaient celles de Babet et Olivia Ruiz. Alors peu connue du grand public, malgré un premier album sympathique, Loizeau prenait enfin son envol. De retour sur le plancher des vaches deux ans après avec l’ambitieux et sublime Pays sauvage — concocté avec Herman Dune, Mathias Malzieu ou Moriarty —, la jeune femme s’est transformée en grande dame de la chanson française. L’antidote aux borborygmes fatigants de Camille.
_Le 17 à l’Espace Julien
Volo
Les Volo ? C’est un peut-être un détail pour vous, mais pour les nombreux fans des Wriggles, ça veut dire beaucoup. En vacances provisoires des cloWns talentueux, Frédéric et Olivier, barrés et drôles à la scène comme à la ville, continuent de radiographier les travers de la société et la connerie quotidienne. Résumons : en cette époque troublée où tout part à vau-l’eau, les frères au gros vélo dans leur tête volent haut. Très haut.
_Le 18 à l’Espace Julien
Mélanie Dahan
Tombée très jeune sous le charme des grandes voix du jazz, Mélanie Dahan met son irréprochable technique vocale au service de belles chansons françaises qu’elle dote d’un swing insoupçonné. Soutenue par un trio de luxe, elle offre aux airs classiques de Brassens, Ferré ou Nougaro une seconde jeunesse, avec beaucoup d’élégance et très peu de nostalgie. Qui a dit que la langue de Molière ne rimait pas avec ternaire ?
_Le 19 au Cri du Port
Zaza Fournier
La rumeur enflait depuis l’été dernier, Pascal Sevran en serait mort et les fans d’Yvette Horner épargnés par la canicule ne voulaient pas y croire : on pourrait donc jouer de l’accordéon tout en étant jeune et jolie. Et cette drôle de rumeur devenue un fait d’hiver s’appelle Zaza Fournier. Du haut de ses vingt ans, cette grande blonde avec son « piano à bretelles » noir déboule enfin dans les parages auréolée d’une réputation de « belle » de scène. Où, accompagnée d’un orchestre « à elle » — son i-pod —, elle convoque en vrac Edith Piaf, Tom Waits et Brigitte Fontaine. Za va guincher.
_Le 19 à l’Espace Julien
Pigalle
Il y a un an tout juste, la nouvelle avait fait l’effet d’une bombe : François Hadji-Lazaro reformait Pigalle, son légendaire premier groupe (puisque fondé avant les Garçons Bouchers, même s’il connaîtra le succès ensuite). Il faut dire que depuis la mise en sommeil de Pigalle, à la fin des années 90, toute une ribambelle de groupes – plus ou moins avouables – a pillé sans vergogne son fonds de commerce : la chanson réaliste de l’entre-deux guerres. Des Têtes Raides aux Ogres de Barback, tous ont commencé un jour en écoutant le gros François : un retour en forme d’événement.
_Le 21 à l’Espace Julien
Mi et Ysaé
Nos deux coups de cœur « made in Marseille ». La première, aperçue sur la scène « cabaret » lors de la dernière Fiesta des Suds, est un charmant petit bout de femme dont le naturel et la pétillance lui promettent déjà un avenir radieux. Sa maîtrise du piano classique et son rapport à la scène, plutôt théâtral, sont des atouts majeurs pour emporter l’adhésion du public. Le second, échappé du groupe de rap Karkan (l’un des rares sur la scène locale à avoir de bonnes influences), se lance aujourd’hui dans un projet solo métissé proche de l’univers d’Anis (avec qui il vient de collaborer). Succès potentiel.
_Le 21 à l’Intermédiaire (Mi) et le 24 en ouverture d’Abd Al Malik (Ysaé)
Thomas Fersen
Soyons francs : Abd Al Malik et Thomas Fersen en têtes d’affiche du festival, on ne pouvait guère rêver mieux à la rédaction. Deux artistes aussi éloignés l’un de l’autre que foncièrement attachants, dont nous suivons depuis toujours les singulières destinées. On ne vous fera donc pas l’affront de vous présenter Fersen, sans doute le plus bel héritier de Prévert mais aussi l’un des parrains (bien qu’il s’en défende) de la « nouvelle scène », pour insister plutôt sur la longévité exceptionnelle de sa discographie – impeccable. C’est sûr : cet homme est appelé à devenir un « classique » de la chanson française.
_Le 25 à l’Espace Julien