Se rincer l’œil, certes, mais pourquoi donc ? Ma nièce — qui a oublié d’être conne puisqu’elle ne répond pas à Dora lorsqu’elle lui demande bêtement d’appeler son sac à dos — me demandait l’autre jour avec l’insouciance de celles qui ne savent pas encore que les princesses font caca et que les rois portent plus volontiers des maillots de Valbuena que des cottes de maille : « Dis tonton, est-ce que se rincer l’œil rend sourd ? » Spontanément, là, comme ça, j’ai envie de dire oui, bien qu’il soit tout de même physiquement assez risqué et techniquement audacieux de se palucher en mettant ses gouttes. Peut-être n’y a-t-il d’ailleurs derrière tout cela qu’une vague histoire d’hygiène corporelle. De Gaulle a bien essayé de nous le cacher, mais on sait aujourd’hui que la fin du XIXe siècle fût une période de crasse sans précédent. Par réaction, les linguistes furent pris d’une véritable passion pour les vertus du nettoyage à sec. On se rinçait alors beaucoup de choses : le gosier, la dalle, le cornet et bien sûr l’œil. Le Français a ses raisons et il en va donc de la contemplation émue des jambes affolantes mises à nu par la magie du printemps, du rock-and-roll et de la minijupe comme de la boisson ; un plaisir éphémère et rafraîchissant qui se consume immanquablement dans les toilettes du sous-sol pour peu que l’on en abuse un peu trop. Mais revenons à la question qui nous intéresse moi et ma nièce : se rincer l’œil rend-il sourd ? Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer ce passage lumineux des Affinités érectiles où Goethe nous conte joyeusement et en allemand une ballade au pré entre Beethoven et son maître Haydn : « Ludwig Van : Pom, pom, pom-pom ; – Haydn : Tu pourrais quand même éviter de te rincer l’œil, pervers… ; – Ludwig Van : Hein ?!? ; Haydn : Non, rien… Tiens un cyprès. » CQFD.
Romain Carlioz