Avoir un chat dans la gorge, certes, mais pourquoi donc ?
Longtemps, j’ai cru que l’Armée du Salut était un rassemblement de soldats très polis ou bien que seuls les garagistes roulaient des mécaniques — oui, j’ai toujours eu une imagination débordante. A contrario, je n’ai jamais cru un seul instant qu’un chat, cet étrange animal fourbe, indépendant mais soyeux, pouvait se faufiler dans ma gorge à des fins parasitaires. N’ayant de toute façon pas de « minou » sous la main, hormis un frère et deux sœurs avec qui je m’entendais alors comme chien et chat, je savais pertinemment — même si, du haut de mes sept ans, la signification de cet adverbe m’échappait comme beaucoup de bêtises de ma bouche — que je n’avais rien à craindre, ayant, entre nous soit dit, d’autres chats à fouetter. Jusqu’au jour où, rattrapé et vaincu par la maladie, vint se loger, à mon insu et dans ma gorge après une grippe carabinée, un chat. Le médecin était formel et moi forcément abattu par la carabine de la grippe. En plein désarroi, je demandai, quoique aphone, au corps médical de m’expliquer, foin de métaphores, le pourquoi du comment ou, si vous préférez, d’appeler un chat un chat ! C’est ainsi que je sus, ce jour-là, un peu las, que mon enrouement passager (clandestin), relié à la famille des félidés, avait pris sa source quelques siècles avant ma naissance, via une confusion entre les termes « maton » et « matou ». Désignant le lait caillé, souvent accompagné de grumeaux qui grattaient la gorge, le fameux maton définissait également une boule de laine ou de poils qui bouchait les orifices. Et, par extension — ou un bouche-à-oreille qui tourna salement au fil des siècles —, l’obstruant maton devint l’irritant matou. En substance, mon narrateur au caducée me prescrit, après cette improbable histoire de matou, quelques pastilles pour ma toux. Je sus aussi, ce jour-là, que les maux de gorge et les chats n’étaient définitivement pas félins pour l’autre.
Henri Seard