Sens dessus dessous

Première exposition personnelle en France pour l’artiste bruxellois Lieven De Boeck, qui déploie sur les deux plateaux de jeu du FRAC l’étendue de son langage plastique. Au visiteur de déchiffrer ses images non trouvées, en jouant aux rébus, aux sept familles et aux sept erreurs…

Présentés à l’entrée de l’exposition à la manière des linges humides suspendus aux cordes en Sicile, les 193 drapeaux des pays membres de l’ONU pendent au-dessus de nos têtes. Lieven De Boeck les a dépossédés de leurs couleurs et les classe selon une typologie non conventionnelle, mais formelle, au regard de leurs motifs : bandes horizontales, verticales, croix, cercles, étoiles, croissant, etc. Inspirée par le siège des Nations Unies à New York, The White Flags se présente comme une installation composée de drapeaux blancs en tissu d’organdi, réalisés par les petites mains expertes d’étudiants lors d’un workshop en Allemagne. Privés de leur gamme chromatique, les drapeaux se distinguent et s’identifient plus difficilement, comme si chaque pays perdait un peu de son identité en même temps que ses couleurs…

« Chaque drapeau n’apparait pas d’emblée comme la représentation d’une nation se distinguant par sa culture, sa langue, sa religion ou son idéologie. Il est présenté d’abord et avant tout comme une forme dont on fait l’expérience. »

Benoit Jodoin

Le travail de Lieven De Boeck s’attache à réfléchir à notre besoin de trouver des codes et des systèmes pour régir le monde et à notre incroyable capacité à adhérer à des conventions établies par d’autres sans qu’elles nous correspondent forcément. Car comme pour mieux comprendre ou maitriser le monde dans lequel il vit, l’être humain range et classe méthodiquement. Il va sans dire que le rôle de l’art et celui de l’artiste consiste sans doute à questionner cette propension grégaire à adhérer aux typologies et à nous aider à les remettre en question, voire à les réinventer. Ce que fait ici Lieven De Boeck, qu’il s’agisse des codifications liées à l’espace et à l’architecture, à l’urbanisme ou même au fonctionnement muséal et institutionnel… jusqu’à établir une typologie de lui-même.
Image Not Found nous propose de partager, le temps d’une exposition, la vision du monde d’un artiste nourri par l’art conceptuel et dont les études d’architecture s’immiscent dans sa relation avec la mise en espace de son œuvre. En témoignent les citations aux lois du nombre d’or, l’utilisation de la suite de Fibonacci dans la Série bleue ou encore la réplique du Modulor, clin d’œil à Le Corbusier et à ses théories autour de la cité idéale.Si la première salle d’exposition est consacrée aux expériences formelles de transformation de la matière, qui se constituent sous vitrine, à la manière d’un laboratoire, le deuxième plateau se concentre sur le caractère performatif de l’œuvre.
Après avoir fait intrusion dans les salles secrètes du FRAC et emprunté le monte-charge réservé d’ordinaire au personnel, le visiteur (préalablement inscrit aux médiations du jour) pourra suivre les déambulations de deux jeunes femmes vêtues de noir qui manipulent les œuvres fragiles réalisées lors de la résidence de Lieven De Boeck au CIRVA, selon un rituel dont le visiteur est écarté. Une tentative de renouveler le rapport et le comportement du regardeur vis-à-vis du « musée » et de l’œuvre d’art, qui reste ici au seuil d’une expérience inachevée.
Dieu joue-t-il aux dés ? Einstein ne le croyait pas, et l’univers dont il a jeté les fondements obéit à des lois immuables qui ne laissent pas de place au hasard. Pourtant, quand il leur arrive de se désorganiser, ces mêmes lois provoquent le chaos… Sous leurs aspects cosmétiques, les œuvres de Lieven De Boeck ne seraient elles pas de véritables pavés jetés dans la mare ?

Céline Ghisleri

Lieven De Boeck – Image Not Found : jusqu’au 5/05 au FRAC PACA (20 boulevard de Dunkerque, 2^e).
Rens. : 04 91 91 27 55 / www.fracpaca.org

Pour en (sa)voir plus : www.studiolievendb.com