« L’ignominie a assez duré »

« L’ignominie a assez duré »

C’est en ces termes que Martine Vassal, présidente du Conseil départemental et de la Métropole Aix-Marseille-Provence, a exprimé son courroux suite à la dégradation de l’Arc de Triomphe de la Porte d’Aix le 10 mars dernier, en marge de la manifestation des Gilets jaunes. Ajoutant dans son communiqué de presse : « Je ne peux pas accepter que ce monument qui porte notre histoire soit abandonné dans cet état déplorable. » Les mots ont un sens, que nos élus ne peuvent ignorer. Et l’on est en droit de se demander pourquoi ces mêmes mots — « ignominie », « abandonné », « état déplorable » — n’ont jamais été prononcés par la protégée de Jean-Claude Gaudin, à qui elle espère succéder à la Mairie de Marseille l’an prochain, depuis près de six mois que dure la crise du logement dans la cité phocéenne suite au drame de la rue d’Aubagne.

Un numéro de Ventilo entier ne suffirait pourtant pas à répertorier toutes les situations ubuesques, les imbroglios et autres procédés invraisemblables auxquels ont dû et doivent encore faire face les quelque 2 600 Marseillais.e.s délogé.e.s depuis novembre — une estimation approximative, la Ville ayant cessé de donner les chiffres officiels depuis plusieurs mois.

La même Ville qui n’a rien trouvé d’autre que d’affecter certains de ses employés (ainsi que ceux de la Métropole), incompétents en la matière même si volontaires pour changer de service, afin de gérer la crise… Et ce, sans jamais déclencher de PCS (Plan Communal de Secours), mais en inventant un PCC (un sigle que même Arlette Fructus, ajointe du maire à la politique de rénovation urbaine, s’est montrée incapable d’expliquer) pour assurer l’hébergement d’urgence. À savoir des hôtels, où vivent encore une grande partie des délogé.e.s (en majorité des personnes seules, donc a priori faciles à reloger), laissé.e.s à l’abandon et dans l’incertitude la plus totale quant à leur avenir immédiat, les gérants des hôtels concernés devant parfois libérer les chambres pour les touristes et autres congressistes de passage. Une situation que l’on imagine se détériorer encore à l’approche de l’été…

Sans compter les familles logées dans des hôtels différents, les personnes éloignées de leur lieu de travail et/ou de l’école de leurs enfants, et toutes les conséquences terribles de cette situation : décrochage scolaire, pertes d’emploi, maladies, tentatives de suicide… Le malheur n’en finit plus de s’abattre sur nos concitoyen.ne.s, pour la plupart déjà précaires, à qui l’on offre pour seul horizon un abri temporaire et incertain, de la bouffe industrialisée (pour ceux qui peuvent aller régulièrement à la Cité des Associations avaler les repas de la Sodexo) et 50 euros par mois de la part du C.C.A.S.

Quant aux relogé.e.s, leur quotidien n’est souvent pas plus rose… Baladé.e.s de service en service pour connaître et/ou faire valoir leurs droits, réintégré.e.s dans des immeubles insalubres, voire dangereux, qui ont été parfois squatés ou pillés en leur absence, confronté.e.s au mutisme des institutions, soumis.es à des propositions de relogement inadapté…

La place nous manque, tout comme les mots, pour qualifier cette crise du logement, devenue une vraie crise humanitaire. Mais on n’oublie pas, on n’oubliera pas. Et nul doute que le 31 mars, alors que sera célébré un nouveau Dimanche de la Canebière, le cœur ne sera pas forcément à la fête mais plus aux revendications légitimes des Marseillais à vivre dignement, lors d’une manifestation initiée par le formidable Collectif du 5 novembre. Car l’ignominie a assez duré.

 

Cynthia Cucchi