L’Interview | Alex Vizorek
Passionné de théâtre classique, Alex Vizorek rêvait d’entrer à la Comédie-Française. Mais c’est dans la section « One man show » du Cours Florent qu’il fera son trou. Désormais, en plus de ses chroniques pour France Inter et la RTBF, il fait rire en parlant de choses intelligentes avec son spectacle Alex Vizorek est une œuvre d’art. Intitulé du spectacle oblige, rencontre avec l’humoriste belge au Centre d’art Caumont, à l’occasion de son passage à la Fontaine d’Argent à Aix.
Comment est né ce spectacle ?
Lorsque j’étais étudiant au Cours Florent, j’avais du temps et j’allais souvent dans les petits cinémas. J’y ai vu Mort à Venise. Je me suis dit : « C’est con d’avoir donné ce titre parce qu’on sait déjà ce qui va se passer ». J’allais au musée aussi. J’ai donc écrit sur la culture comme j’aurais pu écrire sur autre chose. C’était quelque chose qui me parlait, qui me touchait, sans que je sois un grand spécialiste, mais qui me permettait de venir raconter quelque chose aux gens. Donc je n’ai pas intellectualisé cette démarche avant.
Pourquoi vouloir faire un spectacle tout public ?
Je pense qu’il n’y a pas de public prédestiné à un spectacle, même si, de par sa thématique, mon one man show peut paraître un peu intello. Mais je ne suis pas contre l’idée d’aller vers le populaire. En fait, lorsque je vais dans les salles d’humour, comme la Fontaine d’Argent, le public me prend un peu pour un intello, celui qui tire vers le haut. Et quand je vais dans des CDN en France ou dans des centres culturels en Belgique (au passage, il y en a un chouette à Molenbeek), les gens me prennent pour le clown, celui qui détend. J’aime bien cet entre-deux. Je convie les gens pour rigoler mais, si derrière la rigolade il y a quelque chose, je suis très content. Je fais partie de ces personnes qui comptent beaucoup sur l’intelligence du public. J’aimerais plaire au plus grand nombre sans obligatoirement m’imposer d’être populaire à tout prix. Ça ne me gêne pas si pendant une minute, il n’y a pas de rire.
Le spectacle a-t-il évolué depuis sa création il y a six ans ?
Oui, je le nourris un petit peu. J’ai fini par arriver à quelque chose que j’estime optimal, carré ; il n’y a donc pas de nécessité à enlever toute une partie pour en rajouter une nouvelle. En revanche, ajouter un tableau par ci par là, oui. J’hésite à ajouter un tableau du Douanier Rousseau sur lequel j’ai fait un sketch dans l’émission que j’ai rejointe sur Paris Première, Ça balance à Paris, présentée par Eric Naulleau. Il s’intitule Le Joueur de football et ils ont tous le ballon à la main. Il était naïf, le Douanier Rousseau, sur les règles du jeu aussi ! (rires)
Cette nouvelle émission n’est-elle pas un peu le prolongement de votre spectacle ?
Si. Naulleau m’a appelé afin que je reprenne la forme de mon spectacle en visitant l’actualité culturelle.
De fait, vous vous piquez parfois des répliques…
Oui, mais comme c’est une parodie de moi-même, ça va. Je me suis même réclamé des droits d’auteur et je n’hésiterai pas à m’attaquer en justice si ça n’avance pas.
N’avez-vous jamais eu envie de faire du cinéma ?
Non, mais j’ai reçu mon premier scénario à lire la semaine dernière. Ça finira peut-être par arriver… En tout cas, si un grand réalisateur me propose de faire le barman de dos, j’y vais, c’est sûr ! J’adore le cinéma en tant que cinéphile, même si je ne pense pas que je manque au cinéma.
Et écrire des scénarios, comme votre acolyte des Cafés serrés de la RTBF, Thomas Gunzig, qui a triomphé à Cannes l’année dernière avec le film de Jaco Van Dormael Le Tout Nouveau Testament ?
Ah, Thomas, c’est notre maître à tous ! J’ai du mal à écrire des choses plus longues que la taille d’un sketch mais, en même temps, je n’ai jamais vraiment pris le temps de le faire. En fait, j’aimerais écrire une pièce de théâtre. Tous les jours sur France Inter, j’écris le petit truc de départ qui se passe dans le bureau. Donc j’ai 350 fois (autant que d’émissions) une minute et demie, largement une pièce de théâtre. Mais je n’arrive pas encore à me lancer directement dans l’écriture d’une pièce d’une heure vingt. Il faut que je le fasse.
Est-ce que le fait d’écrire votre chronique dans l’urgence ne vous pousse pas, comme Nicole Ferroni, à une efficacité encore plus affûtée que dans vos spectacles où les mots sont posés ?
Pour moi, c’est complémentaire. Les brèves, je les fais un peu tous les jours à 17h dans l’émission Si tu écoutes, j’annule tout. C’est cette émission qui emmène du public pour mon spectacle ; les gens ont l’impression que l’on est toujours avec eux, que l’on fait partie de la famille… En fait, je suis tous les jours dans leur voiture.
Comment avez-vous vécu les attentats ?
J’étais à Paris pour ceux de Bruxelles et à Bruxelles pour ceux de Paris. J’ai un peu le flair !
Pour moi, celui que j’ai le plus mal vécu ans ma chair, c’était celui de Charlie, parce que l’on a été chercher les gens dont le seul objectif était de faire rigoler. Cela m’a complètement interloqué, déstabilisé… Je ne dis pas du tout que c’est mieux quand on s’attaque à des personnes lambda… Mais là, ça s’attaquait à mon outil de travail, qui est la liberté d’expression.
Vous avez défendu bec et ongles la couverture de Charlie Hebdo avec Stromae, qui est parue après les attentats à Bruxelles. Pourquoi l’avez-vous fait ?
Avec une couv’ de Charlie, il faut se demander si c’est drôle ou pas, et c’est tout ! Si c’est drôle, très bien ; si ça ne l’est pas, ce n’est pas grave. C’est le principe du journal, les mecs de Charlie poussent le bouchon loin. C’est comme ça et cela ne nous rendra pas les morts !
En fait, Charlie devrait être limité aux gens qui veulent être confrontés à ce genre d’humour. Le problème, actuellement, est que les autres journaux s’en emparent. Quand par exemple Le Soir (un des principaux quotidiens belges) demande à ses lecteurs sur sa page Facebook ce qu’ils pensent de la couv’ de Charlie, des personnes qui n’étaient pas censées être confrontées à cet humour — parce que ce n’est pas le leur, que ce ne sont pas leurs codes ou parce qu’elles n’en ont pas envie, tout simplement — se retrouvent obligées de donner un avis. Personnellement, il y a des couv’ de Charlie que je trouve meilleures que d’autres. Ce qui n’est pas chouette, c’est de juger l’humour. L’humour, ça se tente. C’est proposer quelque chose, comme une œuvre, un tableau humain, une chose face à laquelle on peut dire « j’aime » ou « j’aime pas ». Pour une couv’ de Charlie, c’est la même chose. Mais on ne peut pas commencer à dire « Je pense que ça veut dire cela et en plus, ils ne respectent pas les morts. » A mon avis, s’il y a bien quelqu’un qui respecte les morts, c’est Charlie. En tout cas, je trouve que tout ce débat était inutile.
Est-ce Charline Vanhoenacker et vous qui avez proposé à France Inter de faire l’émission à Bruxelles après les attentats ?
Non, c’est France Inter qui nous l’a proposé immédiatement. Je crois que cette émission était plus émouvante que bien organisée : nous étions dix chroniqueurs et c’était un peu n’importe quoi, mais nous sommes bien marrés et ça a dédramatisé les choses. Il y avait un côté événement, genre « les Français débarquent ». Ce qui a permis à Christophe Bourdon de faire cette blague pendant l’émission : « J’espère qu’il n’y aura plus d’attentats en Belgique, comme ça les émissions humoristiques françaises resteront chez eux. »
Après un attentat, tu réagis sincèrement, vu que tu es toi-même choqué. De fait, tu es de suite dans le bon ton. Et comme nous sommes une bande autour de la table, si tu n’es pas dans le bon ton, tous les autres t’y ramènent. Si tu es un peu plus dans le pathos, l’autre te tire vers le haut. Et si tu es plus enjoué parce que tu penses qu’il faut dépasser les choses et qu’ils estiment que c’est trop, ils te font redescendre.
Dans votre spectacle, il y a un passage très touchant dans lequel vous dites : « Finalement, c’était bien lorsque nous n’étions que les idiots du village »…
Quand Coluche se moquait de nous, la moitié de la Belgique trouvait ça très drôle et l’autre moitié était scandalisée. A mon avis, c’est notre force de trouver cela marrant. On s’en fout de passer pour l’idiot et en plus, le Français est passé largement au-dessus de ça maintenant. Nous n’avons plus de gêne vis-à-vis de cela. La dérision est une des qualités premières des Belges. La dérision a produit l’autodérision.
Pouvez-vous nous parler de deux de vos collègues de la matinale que nous aimons beaucoup ici, Nicole Ferroni et François Morel ?
Nicole est une fille formidable ! J’ai l’impression qu’elle est un peu belge alors qu’elle vient du très très Sud. Cela m’a surpris parce que d’habitude, les gens du Nord et du Sud s’aiment beaucoup mais n’ont pas toujours de vraies accroches. Et Nicole est le genre d’humoriste et d’humain qu’il est un bonheur de rencontrer. J’ai le même rapport avec Vincent Dedienne et tous ceux du matin, Aram et Morel. Je suis très fier d’être sur le même siège qu’eux, car ils racontent des choses humainement touchantes et sincères. Ce ne sont pas des gens du show-biz, plutôt des artisans, et j’aime ça. Moi-même, je me considère comme un artisan parce que je ne me sens pas proche d’un Picasso. (rires)
Ils ont cette envie de rendre le monde plus beau, plus compréhensible, ou moins injuste. Je cautionne tout cela et je suis fier de pouvoir modestement appartenir à cette famille d’humoristes-là.
Il a été question que l’on fasse une tournée Ferroni, Dedienne et moi, mais Nicole n’a pas voulu car c’était de trop grandes salles. Au-dessus de quatre cents places, elle ne se sent plus dans sa zone de confort.
Quant à François Morel, c’est un génie absolu ! Une personne tellement attachante — je vais citer Ségolène Royal — qui a des colères saines. C’est un passionné de culture et il se bat pour qu’elle soit populaire, juste, pertinente et élevée. C’est quelqu’un qui est nécessaire au paysage culturel français.
Quels sont vos projets à l’approche des élections en France ?
Je vais continuer la radio : cela fait deux ans que nous nous moquons des politiques, ils vont être très exposés, ce sera encore plus inspirant. Nous ne changerons pas l’émission de fond en comble, mais nous la dépoussiérerons un peu, histoire que le public ait quelques surprises à la rentrée.
Peut-être faire un nouveau spectacle… Je me tâte : est-ce que je le fais cette année et j’intègre du politique à l’intérieur ou est-ce que j’attends l’année suivante en faisant tout autre chose ? L’été me le dira…
En tant qu’humoriste, je n’ai pas de logique de tournée : on m’appelle, je viens, si c’est un week-end, je peux partir n’importe où les mains dans les poches. Il est rare que je descende en dessous de Lyon, à part chez Fabienne à la Fontaine d’Argent à Aix. Elle m’a découvert à Avignon au Capitole et fait venir pour un Noël en 2012. J’y suis retourné trois ou quatre fois depuis. J’adore ces petits lieux et j’y reste fidèle mais, n’ayant jamais joué à Marseille, je lance un appel : j’adorerais jouer chez vous !
Propos recueillis par Marie Anezin
Alex Vizorek était les 9 & 10/04 à la Fontaine d’Argent (Aix-en-Provence).
Retrouvez-le sur France Inter tous les mardis dans la matinale à 8h55 et du lundi au vendredi à 17h dans l’émission Si tu écoutes, j’annule tout.
Pour en (sa)voir plus : www.alexvizorek.com
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