L’Interview de Dominique A dans le cadre du Festival Avec le temps
Du bon Temps
Serait-ce « l’effet Capitale » ? Toujours est-il que l’édition 2013 du festival Avec Le Temps, premier des grands raouts musicaux à bénéficier des subsides dégagés pour l’occasion, invite des gens du calibre de Michel Jonasz, Jean-Louis Murat ou Dominique A. Dominique A, justement : ce « parrain malgré lui » d’une nouvelle génération d’auteurs français, à situer entre grande tradition chanson et aspirations pop, vient enfin de voir son travail récompensé par la profession (il n’est jamais trop tard) à l’occasion de ses vingt ans de carrière. Cela méritait bien une interview. Les « élites » de la Musique salueront-elles un jour l’œuvre de Jean-Louis Murat, certes plus intransigeante mais bien plus foisonnante (il sort en moyenne près d’un album par an) ? Peu (lui) importe : l’Auvergnat fait partie de ces artistes sur lesquels le système a assez peu d’emprise, libres, isolés, pas si éloignés finalement du geste d’un Ferré, celui-là même que beaucoup viennent à célébrer quand il s’agit de réveiller leur fibre contestataire. Patronyme oblige, le festival n’y échappe pas, avec sa tripotée d’hommages à l’homme qui disparaissait il y a vingt ans tout juste : expo photo et conférence à l’Alcazar, projection aux Variétés, et surtout, concert de Marcel Kanche & I.Overdrive Trio autour du répertoire de Ferré. Une réappropriation qui s’annonce intense, tant sur le plan du verbe (Kanche a notamment travaillé avec Bashung) que sur celui de la musique (les trois musiciens qui l’accompagnent naviguent entre free-jazz et art-rock). Autre temps fort, autre rencontre : celle d’Arthur H et de David Walters, le premier invitant le second à venir éclairer de façon inédite un répertoire inusable, distillé ici dans le plus simple appareil. Un concert unique à plus d’un titre. Enfin, Emily Loizeau, Rocé, Usthiax ou Iraka illustrent chacun la diversité des ramifications de la chanson, ici avec un bagage folk, là en utilisant des machines, là encore via cette incarnation (sub)urbaine du genre qu’est le rap. Oui : une édition solide.
PLX
L’Interview
Dominique A
Vingt ans de parcours musical, un album disque d’or, une Victoire de la Musique… Peut-on parler d’un tournant dans votre carrière, si tant est que le terme ne vous rebute pas trop ?
D’une certaine façon, c’est un mot assez juste ; c’est sûr que tout s’est bien goupillé, et de façon carrément idéale, et la Victoire de la musique a un peu entériné ça. Dans ce métier-là, c’est tout ou rien, de toute façon. Cela dit, les Victoires tendent de plus en plus à être une manifestation de professionnels à professionnels, hélas…
A l’instar des César pour le cinéma…
Oui, le parallèle est juste. Plus qu’avant, il y a un énorme écart entre les aspirations du grand public et la recherche d’un truc qualitatif. La responsabilité est énorme de la part des gros médias, qui nivellent toujours plus par le bas. Il pouvait vraiment y avoir des points de jonctions entre les recherches formelles, que ce soit en cinéma ou en musique, et le grand public, et finalement, ça reste très rare… Je m’en aperçois encore plus aujourd’hui avec cette Victoire. Certes, l’exposition dont j’ai bénéficié cette année est super, mais en même temps, c’est comme un monde parallèle avec le grand public, je le déplore un peu.
Malgré l’impact grandissant du triumvirat, comme vous l’appelez, Inrocks-Télérama-Libé…
Quelque part oui, même si, heureusement, ces gens sont là. On crache sans arrêt sur leur côté branché, mais bon, s’ils ne faisaient pas leur boulot, des chanteurs comme moi n’auraient jamais l’opportunité de se faire connaître par quiconque. Soit on ne fait rien et on se retrouve ad vitam aeternam à bouffer du Johnny et du M. Pokora, soit on essaie de proposer autre chose, et heureusement qu’il y a, à ce moment-là, ce type de relais.
Votre émergence a d’ailleurs correspondu, au début des années 90, à un fourmillement alternatif de micro-labels, de revues, de fanzines… Quel regard portez-vous sur cette période ? Trouvez-vous qu’on ait un peu perdu cette dynamique musicale ?
Non, je ne trouve pas que ça ait disparu, au contraire. Les niches se sont consolidées. C’était juste émergent à ce moment-là, au début des années 90 ; je m’en souviens comme d’une période où l’on était un peu dans un désert, malgré des labels, effectivement, comme Lithium, Village Vert, Rosebud… Aujourd’hui, c’est très éclaté, très vivace, il y a plein de petits labels partout. Pour exemple, je suis revenu à Nantes, et je ne connais pas la moitié de ce qui s’y fait, ça fourmille de labels. Finalement, quand je pense aux années 90, ça me fout le bourdon, tout y était compliqué…
Est-ce que vous vous tenez encore un peu au courant des nouveaux groupes ou chanteurs ?
Oui ! Cette année, j’ai beaucoup écouté les filles, comme Maissiat ou Barbara Carlotti, qui est un peu plus reconnue aujourd’hui, ou Maud Lübeck, dont j’ai vraiment aimé le premier album. Cela dit, ça tire tellement de tous les côtés que c’est compliqué d’avoir un regard global sur tout ce qui se passe. Heureusement, Thomas Poli, l’un de mes musiciens, plus jeune que moi, me fait sans arrêt découvrir des trucs, d’où cette sensation de profusion.
Dans vos albums, il existe de nombreuses références sur la place de l’individu dans son environnement urbain. Est-ce une source d’inspiration majeure, pour vous ?
Oui, ça m’intéresse. Même si je ne lis rien sur le sujet, ça me touche au plus haut point, je suis très sensible aux lieux dans lesquels je me trouve. Il en découle une forte sensation de bien-être, ou de mal-être. Mais au-delà, ce que je préfère, c’est la présence de l’eau. Tenez, justement, je suis à Nantes au moment où je vous parle, et j’ai la Loire sous les yeux, c’est un sentiment très fort, voire primordial, en fait, pour ma santé mentale. (rires)
En vivant à Bruxelles, ce n’est pas l’idéal !
Eh oui, justement, j’y suis de moins en moins, et de plus en plus à Nantes. Je souffrais de ça, à Bruxelles, ce pauvre canal pas spécialement mis en valeur, qui me déprime assez, en fait.
Comment se construit le processus d’écriture dans vos chansons ? On sent l’influence littéraire très présente, la chanson Tu étais là est inspirée par Renaud Czarnes ; dans L’Attirance, il y avait un extrait du livre de Milena Jesenská…
En général, je suis un peu dans la méthode « gainsbourienne » : prendre un titre ou un mot pour point de départ. J’ai beaucoup fonctionné avec mes lectures par le passé pour trouver des sources d’inspiration. Aujourd’hui, j’aime bien l’idée que cela vienne aussi de rien, sans pouvoir identifier le point de départ. Cela reste évidemment un processus un peu mystérieux, mais lié, à un moment donné, à l’envie d’écrire. J’aime sentir le barrage céder…
D’ailleurs, parallèlement à l’album Vers les lueurs, vous avez sorti un second livre, Y revenir…
Oui, enfin, pour moi, c’est le premier « vrai », même s’il y avait eu avant Un bon chanteur mort. Y revenir était aussi d’une certaine façon une commande, mais dans le premier, je n’avais pas d’aspiration à écrire un texte littéraire. Là, oui. Autant le travail d’écriture de chansons est plus l’occasion pour moi de dégrossir une matière affinée ensuite en studio, autant l’écriture d’un livre reste de l’orfèvrerie, dans la mesure où il n’y a que l’écriture. Quand la chanson est écrite, il y a plein de choses qui sont encore possibles et la vie de la chanson est en devenir. Là, la vie du texte, elle est finie. La mécanique est à nu, c’est donc un travail de longue haleine pour achever un pauvre petit livre de quatre-vingt pages ! (rires)
Vous vous êtes frotté à la musique, à la littérature, de loin à la bande dessinée, avec le récent projet J’aurai ta peau Dominique A… Il ne reste finalement que le cinéma, sachant que vous avez signé la B.O. de Banqueroute.
Et pourtant, je n’ai pas un rapport viscéral au cinéma. Je me méfie de l’image, j’ai souvent l’impression d’être pris en otage de mes émotions, je suis peut-être trop sensible à ce qui se passe sur l’écran. Finalement, je n’ai jamais eu le fantasme de faire une B.O. de film, et je ne me sens pas très à l’aise, en fait, sur le retour perpétuel entre les desideratas du réalisateur et mes propositions musicales. Pour moi, il faut que la musique soit en rapport avec le texte pour que je me sente légitime. Pour la B.O. de Banqueroute, de toute façon, il n’y avait pas d’argent, donc c’était vraiment fait à la maison, un peu cheap. Mais même à l’époque, pour moi, c’était un peu une corvée, malgré l’aspect amical.
Pour revenir à vos participations musicales, n’y avait-il pas un trop grand écart à travailler avec des gens comme Calogero, par exemple ? Etait-ce un choix purement musical ?
Un grand écart, certes, mais je le revendique. Dans ce cas-là, ça a été une rencontre avec le type, et une proposition de texte, qu’il a pris, ça a donc été très direct. Après, pour moi, c’est un bon mélodiste, je n’ai pas de problème avec la variété. On a un point de vue très franco-français de tout ça, toutes les castes sont très séparées, ce n’est pas du tout un point de vue à l’anglo-saxonne, où les frontières sont plus poreuses. Je ne suis pas dans la même position quand je travaille pour moi. Quand je bosse sur mes chansons, je travaille pour le chanteur qui s’appelle Dominique A, l’investissement va être différent. Quand je travaille en tant que Dominique Ané pour des gens de variété, je me considère finalement comme un tâcheron. Après, il faut que j’aie un minimum de respect et pour la personne, et sa production. Il faut que les gens fassent les choses avec un minimum de cœur et de sincérité. Evidemment, je n’écrirais pas pour n’importe qui, style Pagny, Sardou ou Bruel. Pour Calogero, je n’ai aucun souci, je respecte assez ce qu’il fait.
Et les projets à venir ? Nouvel album ? Nouveau livre ?
On va finir la tournée en cours jusqu’à l’été. Et j’essaye justement d’écrire pour des gens, comme Daphné, peut-être Joseph D’Anvers… A la rentrée, je reprendrai le travail amorcé à Manosque, autour d’un bouquin et de lectures musicales. On va reconduire tout ça sur une petite tournée d’une trentaine de dates. Et je reprendrai aussitôt l’écriture du nouvel album.
A ce sujet, prévoyez-vous de travailler à nouveau avec un orchestre assez fourni ? Il me semble d’ailleurs qu’à l’origine, vous pensiez enregistrer Vers les lueurs avec un orchestre de trente musiciens… Resterez-vous sur cette lancée ?
Non, je pense que je vais repartir sur une formule assez resserrée, qui sera peut-être plus axée sur la rythmique, sans le côté « arrangements » du dernier disque. Ce sera un peu dans l’esprit de ce que l’on a fait en première partie de la tournée, l’année dernière, quand on jouait La Fossette en trio. J’ai vraiment bien aimé l’aspect très épuré du trio, donc j’aimerais repartir sur une formule de ce type, quitte à l’ouvrir à des gens en cours d’enregistrement.
Propos recueillis par Emmanuel Vigne
Festival Avec le temps : du 16 au 27/03 à Marseille.
Rens. www.festival-avecletemps.com
Dominique A : en concert avec Usthiax le 19 à l’Espace Julien (39 cours Julien, 6e)