Le diktat du chiffre, la loi du plus fort, les souffrances physiques et/ou psychologiques liées au travail… Autant de thèmes réunis par le metteur en scène dans A quoi on joue ? Tais-toi et bosse, pour exposer, en musique et avec une certaine ironie, ces témoignages de « petites » gens qui ont beaucoup à dire.
Ce travail est une commande faite par un groupement de comités d’entreprise, Signes en fêtes. Pourquoi se sont-ils adressés à vous ?
Cela fait suite à longue période de « compagnonnage » et de complicité avec le C.E. des cheminots de PACA. Ma compagnie a beaucoup travaillé sur le monde du travail. On avait déjà eu une commande d’écriture sur les mémoires populaires du chantier naval de Port-de-Bouc. Depuis, je me suis retrouvé à travailler sur des mémoires populaires de gens que l’on dit sans histoires. D’où ce travail d’enquête et d’écriture consacré aux souffrances, pas à LA souffrance, mais bien aux différentes souffrances, physiques ou psychologiques, que l’on peut rencontrer dans le monde du travail, privé ou public.
Qu’est ce qui vous intéresse dans ce monde du travail ?
C’est du vivant à l’état pur. Les gens intéressants ne sont pas seulement ceux issus du star system ou d’un quelconque pré carré politique. Ceux qui ont des « petites vies », comme on dit, ont vraiment des choses immenses à raconter. J’ai croisé des parcours à la fois beaux, émouvants, désolants et parfois à hurler de rire. C’est important, parce que je me suis aussi retrouvé avec des situations vraiment dramatiques, avec des gens parlant de la mort ou qui ne voulaient plus vivre. Ça a été le point le plus délicat pour moi, car la pire des trahisons aurait été de tomber dans le larmoyant.
Comment avez-vous trouvé vos témoins ?
Pour ça, tous les coups sont permis ! Certaines personnes m’avaient été indiquées par le monde syndical et j’ai aussi fait confiance à la vie. Par exemple, j’ai rencontré un jeune homme en train de ramasser des feuilles mortes dans un parc municipal en Lorraine, j’ai eu envie de lui parler, on a pris rendez-vous pour le lendemain et on a discuté pendant deux heures. Il faut laisser tourner les antennes, parfois provoquer le hasard.
Vous avez senti de la colère chez les personnes que vous avez rencontrées ?
J’ai tout eu. Mais en général, les gens qui sont venus me parler étaient dans un moment de calme, davantage dans la désillusion. Nino Ferrer a inventé un terme qui colle parfaitement à la situation : la « désabusion », un mélange de désabusé et de désillusion.
Votre démarche a-t-elle eu un effet thérapeutique ?
Ce serait présomptueux de ma part, mais c’est vrai que par moments, j’ai senti qu’il y avait une sorte de soulagement. Mais, et c’est là où il ne faut pas que je me trompe, je ne suis pas un thérapeute, uniquement un confident. Avec toutes les limites et les précautions que cela implique. Je dirais que, par moments, il faut écrire sur des œufs.
C’est un sujet délicat, comment avez-vous construit la pièce ?
Il y a deux instruments qui permettent d’adoucir le tableau sans le rendre bête et sucré : l’humour et la musique. Je ne me suis donc pas gêné pour verser dans l’ironie mordante avec une grande lucidité et, surtout, le souci permanent de ne jamais trahir les gens. C’est une sorte de balade, une série de portraits qui nous mène de l’un à l’autre. Il y a des gens du monde du rail évidemment, mais aussi de l’hôpital, des plateformes téléphoniques, des supermarchés…
Toutes ces personnes m’ont confié leur vie en me donnant l’autorisation de la raconter et de la réécrire. On essaie de donner la parole aux militants comme à la majorité silencieuse. On porte leur parole, mais aussi leur silence.
Quelle place tient la musique dans votre mise en scène ?
Les musiques sont nées des improvisations des deux musiciens, qui sont les premiers spectateurs. Elles amènent un véritable dialogue avec le texte ; elles accompagnent les portraits, parfois elles parlent même à la place des comédiens. La musique peut précéder ou prolonger une parole, c’est une grande qualité de la musique au théâtre. J’aurais eu beaucoup de mal à monter la pièce sans musique, cela fait partie de la respiration théâtrale.
Quelles ont été les réactions du public jusqu’à maintenant ?
J’ai déjà fait quelques représentations et bien sûr, il y a eu quelques frictions. C’est mon choix, je suis très violent avec le monde du management. Lors de mes discussions avec certains managers, je leur explique que c’est le système que je veux faire imploser, pas la personne.
Vous êtes de la région, avez-vous senti une différence entre le mal-être ici et dans le reste de la France ?
Il y a une égalité dans le mal vivre, mais le caractère régional fait qu’on l’extériorise plus ici. C’est une région que je connais comme le fond de ma poche et c’est vrai qu’ici, les cons sont plus grandes gueules. Il y en a ailleurs bien sûr, mais un peu plus silencieux. C’est le côté de la Provence que je n’aime pas, bien que j’adore le Sud.
En tant qu’artiste, que pensez-vous de Marseille Provence 2013 ?
No comment ! On est dans l’ordre du paraître, on n’est pas dans la profondeur des choses. Prenez l’exposition sur Camus à Aix-en-Provence… On sort une banderole, on est assailli de banderoles, c’est de l’évènementiel. Ça me fait sourire. C’est de l’éphémère alors qu’il y aurait un boulot à long terme à faire.
Propos recueillis par Aileen Orain