L’interview : Dominique Viger et David Llari
A l’occasion de la création des Caprices de Marianne – Last days par le Théâtre du Gyptis, nous avons rencontré le touche-à-tout Dominique Viger et le fondateur de la Maison du Hip-hop à Paris, David Llari, respectivement responsables de la musique et de la chorégraphie du nouveau spectacle mis en scène par François Chatôt.
Comment avez-vous été amenés à collaborer sur cette pièce ?
David Llari : Quand je suis arrivé à Marseille l’an dernier, j’ai rencontré Françoise Chatôt sur le thème des Caprices. L’équipe du Gyptis était intéressée par la culture hip-hop et mon travail. Elle a voulu que la compagnie Sun of Shade s’implique vraiment dans le projet. Notre participation est bien plus qu’une intervention, on a essayé de trouver une vraie place à la danse de manière à ce que théâtre et danse aient un vrai fil conducteur : les danseurs représentent, par de brèves interventions, l’évolution d’Octave à travers la pièce, personnage bien plus fragile que ce qu’on avait imaginé, tiraillé entre son amitié et un amour qu’il ne s’avoue pas. Ce n’est pas évident parce qu’il n’y a que trois danseurs (ndlr : également interprètes de la compagnie Frank II Louise), qui ne peuvent évidemment pas représenter à eux seuls une foule de dix milles personnes. Mais, grâce à l’interaction entre les comédiens et les danseurs, ainsi qu’aux effets d’ombres, on arrive à créer ce sentiment de foule. La lumière contribue à la mise en perspective, à la profondeur. Le corps est de la matière, il s’agit de le dématérialiser pour faire apparaître autre chose. On a des masques de Goya qui effacent les visages, les regards. La gestuelle passe ainsi de celle de passants à des gargouilles, des espèces d’ombres, ce qui représente pour moi le reflet d’Octave. Octave a une forme d’ivresse, il est comme Kurt Cobain dans Last Days.
Dominique Viger : Pour moi, ça s’est fait assez naturellement, j’avais déjà travaillé avec Françoise sur Les larmes Amères de Petra Von Kant et sur Britannicus.
La création étant revendiquée par Françoise Chatôt, et la pièce de répertoire, le théâtre est au cœur du spectacle ; c’est lui qui génère la présence de la danse et de la musique. Comment s’est donc passé le travail à trois ?
D.L. : Tout s’est monté de façon simultanée. Bien plus qu’un travail à trois, c’est un travail de lumière, de costumière, de scénographe, d’acteurs et de danseurs, parce que la pièce est pensée en cohésion. Françoise a commencé par indiquer sa vision du projet, puis j’ai pu faire des propositions, ainsi que les comédiens.
D.V. : C’est difficile d’allier musique et théâtre, de ne pas s’y perdre, de faire en sorte qu’elle donne un sens sans étouffer ce qui va se passer sur scène.
Comment avez-vous procédé pour mêler les deux styles musicaux que sont le rock et le hip-hop ?
D.V. : La matière n’a pas été faite avant, elle s’est faite pendant, en même temps. Françoise a choisi de garder seulement deux thèmes différents, entre hip-hop et rock, en fonction des deux personnages : Celio et Octave. Le premier thème est créé sur une rythmique hip-hop, presque blues…
D.L. : Pour moi, c’est du rock… un rock qui part dans tous les sens. On s’y est adaptés.
D.V. : Du « blues-hip-hop », on va dire… L’autre thème, sans rythmique, plus « rock », n’est pas envoyé en façade. Il vient appuyer le thème de Celio, étayer sa tristesse. C’est un mélange d’orgues et de grosses guitares, des larsens qui reviennent, des notes tendues, des accords dissonants, avec une guitare saturée qui monte au fur et à mesure. Dès qu’Octave est en scène, c’est beaucoup plus « péchu », ça donne une sensation de foule et d’envahissement. J’ai voulu créer une ambiance de concert, de club… Et si on monte encore un peu le son, les poumons des vieux se décrochent… (rires)
Avec cette création, on a l’impression que le Gyptis veut donner une image plus dynamique, plus « jeune ». Avez-vous le sentiment d’une « récupération » ?
D.L. : Non, je pense que Françoise prend les choses tous azimuts. Je ne sais même pas comment elle a fait le lien entre Kurt Cobain et le hip-hop, mais elle a en tout cas réussi !
D.V. : Moi, je n’y avais pas pensé, mais c’est bien possible que je sois instrumentalisé en fait !
Propos recueillis par Joanna Selvidès
Les Caprices de Marianne – Last days : du 18/11 au 6/12 au Théâtre Gyptis. Rens. 04 91 11 00 91 / www.theatregyptis.com