Déjà la dixième édition pour Marsatac, le festival marseillais qui a su imposer contre vents et marées sa vision des musiques actuelles, à la croisée des genres. Un cap important par définition, puisqu’il invite à réfléchir sur les nécessaires conditions de réinvention d’un tel événement. Les réponses à nos questions avec Dro Kilndjian, programmateur.
Marsatac fête cette année ses dix ans : c’est toujours l’occasion de faire un premier bilan sur une histoire, plutôt mouvementée en ce qui vous concerne… Quel regard portes-tu sur cette première décade ?
C’est d’abord une aventure personnelle très enrichissante, et aussi une histoire d’amitié entre quelques personnes, presque familiale puisque Béatrice (Desgranges – responsable production) et moi sommes cousins. Le fait de porter un projet professionnel ensemble à ce niveau-là est pour nous assez fort, fusionnel… Mais son évolution a été assez laborieuse : déjà parce que nous n’étions pas des gens du métier, donc il a fallu apprendre sur le tas ; ensuite parce qu’on a pâti d’une situation locale pas très porteuse, et enfin à cause de toutes ces difficultés qui ont jalonné notre parcours : problèmes de billetterie sur la deuxième édition, annulation au Frioul pour raisons météorologiques, puis l’année suivante au Palais Longchamp, incendie du Dock des Suds… Des choses qui ont fait que l’événement a bénéficié d’une exposition médiatique certaine, mais qui ont aussi ralenti son évolution. Je porte donc un regard très positif sur ces dix ans, fasciné par le chemin qu’on a pu parcourir, avec l’implication personnelle qu’on y a mis, les gens qui nous ont suivi malgré tout… et bien sûr les artistes : pouvoir faire jouer Public Enemy ou De La Soul, c’est un rêve de gosse.
Je pense que l’on possède aujourd’hui une base suffisante pour pouvoir partir sur un événement plus gros encore, pour le réinventer ou en inventer d’autres. Je me vois encore là dans dix ans… mais je n’ai pas envie de devenir un papy à la tête d’un événement dédié à des gens qui ont entre vingt et trente ans : il faudra donc trouver les moyens de la transmission de Marsatac à d’autres, plus jeunes.
Depuis quelques années, vous avez franchi un palier en termes de succès public : le festival semble désormais installé, renvoyant l’image d’une grosse machine que rien ne pourrait désormais faire dévier de sa trajectoire. Comment continuer à susciter, dès lors, l’attente, l’excitation ?
C’est une question qui nous préoccupe quotidiennement. On a été un peu contraints de garder un format, une certaine manière de faire pendant deux ou trois ans pour fidéliser le public : une date et un lieu fixes, une configuration de site qui se perpétue dans le temps, afin que les gens trouvent leurs repères… Nous sommes arrivés au terme de cette période : il s’agit maintenant de trouver de nouvelles formules pour susciter cette envie. La question du lieu va être déterminante, puisque dès l’année prochaine le J4 n’existera plus. L’implantation du festival nous obligera à revoir les choses. Je pense aussi qu’il faudra augmenter le nombre de scènes et donc d’artistes invités, car la préoccupation première du festival reste de faire jouer à Marseille des artistes qui viennent rarement ici, de lui donner une dimension internationale.
Vous avez un budget total de un million d’euros, et êtes en partie financés par l’ensemble des institutions. Or, tu n’as pas été très tendre avec certains d’entre eux lors de la conférence de presse, pointant l’arrivée tardive du Conseil Général ou le manque d’investissement de la Ville dans le financement du festival… Peux-tu nous expliquer comment un festival comme Marsatac en vient aujourd’hui encore à taper du poing sur la table pour obtenir davantage de moyens ?
Il y a déjà l’augmentation des cachets artistiques depuis quelques années, liée à la chute des revenus liés à l’industrie du disque. Cette part, artistique, représente 40 % de notre budget. La mise en place technique du site représente aussi 40 % de ce budget. Puis un peu moins de 10% vont à la communication, et le reste pour les frais structurels… C’est un budget qui est certes important, financé à 40 % par de l’argent public et à 60 % par de l’autofinancement (billetterie, buvette, sponsoring…), mais au regard d’autres événements équivalents, il reste assez faible : le rapport est inversé. Marsatac est au final assez peu porté par les institutions concernées, même par rapport à d’autres événements locaux qui sont mieux financés que le nôtre.
Si Marsatac occupe une place à part à Marseille et dans la région, c’est sans doute moins vrai dans l’hexagone (vos homologues au sein du Réseau des Festivals de Culture Electronique). Après toutes ces années, comment définirais-tu l’identité du festival ?
En plaisantant, je disais l’autre jour à quelqu’un que c’était une sorte de Transmusicales qui auraient forcé le trait sur le hip-hop et les musiques noires… Je pense que nous sommes les seuls en France à être nés du hip-hop, alors que les autres sont plutôt de culture techno. On a fait le chemin inverse : eux ont intégré plus récemment la dimension hip-hop, alors que nous en sommes partis pour aller ensuite vers la techno et le rock.
Est-ce que cette identité est amenée à évoluer ?
Je souhaite que le festival s’ouvre à d’autres courants musicaux. On a longtemps été diabolisés parce qu’on faisait du hip-hop, puis de la musique électronique… On essaie donc d’ouvrir le plus possible la programmation tout en gardant une cohérence artistique, ce qui n’est pas évident, mais aussi de donner un éclairage sur le passé de ces musiques.
Justement, le festival s’ouvre cette année aux musiques du monde avec une soirée supplémentaire dédiée à l’Afrique. On ne vous connaissait pas sur ce terrain-là : pourquoi ce choix ?
C’est un choix de cœur parce que j’ai vécu plusieurs années en Afrique : j’avais envie de donner une place à ce continent, d’abord pour montrer que les musiques africaines ne sont pas nécessairement has-been, et ensuite que les « musiques actuelles » sont très actives en Afrique. Nous avons donc initié, avec le soutien de quelques partenaires, une création au Mali en février dernier : Mix Up Bamako, avec les Marseillais David Walters et Alif Tree. On s’est dit qu’en plaçant cette création mandingue au cœur de la programmation, ce pourrait être mal mis en valeur ou mal perçu par le public… La soirée africaine est donc un prétexte pour montrer cette création.
Vous rentrez de ce fait en concurrence avec la Fiesta des Suds, dont le coup d’envoi sera donné seulement trois semaines plus tard…
Nous ne nous sentons en aucune manière en concurrence avec la Fiesta, car nous ne sommes pas voués à programmer des musiques du monde chaque année… même si l’on ne s’interdit rien dans le futur : tout dépend des opportunités, des projets que l’on aura menés. Quand on a programmé Pierre Henry l’an dernier, on ne s’est pas dit que l’on rentrait en concurrence avec le GMEM…
C’est différent : l’œuvre de Pierre Henry a une filiation directe avec la musique électronique.
Pas faux.
La pérennité d’un tel festival, aujourd’hui, doit-elle nécessairement passer par une ouverture artistique à tous crins ?
Aujourd’hui, le public qui fréquente les événements de ce type n’est pas extensible à l’infini. Donc soit on décide que le format est figé, et il n’y aura pas d’évolution possible en termes de public, soit on ouvre la programmation — au reggae par exemple. Il faut savoir que nous ne sommes pas encore capables de rentrer dans un système de course à la tête d’affiche.
Reste qu’entre cette première soirée sur le J4 et celles que vous organisez régulièrement, depuis plusieurs mois, sur le créneau des musiques noires (funk, soul…), vous donnez l’impression de marcher sur les plates-bandes de certains acteurs locaux historiques.
C’est vrai… le gâteau est tellement petit à Marseille que nous pouvons parfois marcher sur les plates-bandes de certains, mais ça vaut aussi dans le sens inverse ! Marsatac reste un événement ponctuel, avec quelques soirées dans l’année organisées dans des salles. Je ne vais pas m’empêcher de faire un concert de funk sous prétexte que certains acteurs sont déjà sur ce créneau : ça fait partie de l’expansion du festival. Il y a, à un moment donné, des envies de programmation, de croisements, de rencontres… C’est un état de fait.
Le projet Mix Up Bamako implique deux artistes-phare de la scène locale, c’est une excellente nouvelle. Pour autant, peu d’artistes marseillais restent à l’affiche de Marsatac cette année. Quand on connaît le potentiel de certains d’entre eux et la visibilité qu’offre Marsatac, c’est un peu dommage…
J’en suis persuadé, et je pense que nous sommes mieux positionnés aujourd’hui qu’hier pour les mettre en valeur. Maintenant que l’événement est identifié pour sa coloration internationale, il faut que nous donnions plus largement leur chance à ces artistes locaux… Seulement, avec les capacités dont on dispose aujourd’hui, je préfère exposer certains de ces artistes au milieu d’une scène où se produisent des stars d’envergure internationale, plutôt que de les faire jouer sur une petite scène dans un coin du festival. C’est un compromis à trouver.
Quels sont les Marseillais que tu envisagerais donc de programmer en 2009 ?
Oh Tiger Mountain, Dondolo peut-être…
Vous avez travaillé l’an dernier avec des intermittents de Bourges, ce qui n’a pas manqué de provoquer un tollé au vu du mécontentement de leurs homologues marseillais…
C’est faux. L’équipe technique a effectivement été renouvelée pour des raisons qui nous sont propres, mais les prestataires sont les mêmes. Sur les 300 personnes qui travaillent sur l’événement, six, dont le directeur technique, le régisseur plateau et les ingé-sons des deux scènes, venaient de Bourges. De toute façon, l’équipe technique est au final constituée de quinze personnes au maximum… En grande majorité, les intermittents qui ont travaillé l’an dernier sur le festival étaient locaux, et ce sera encore le cas cette année. Mais de la même manière, quand des intermittents marseillais vont bosser à l’extérieur, ils prennent bien le boulot de quelqu’un…
Bien sûr, mais à partir du moment où vous êtes financés par des institutions locales, que Marsatac s’inscrit en outre dans la perspective de Marseille Provence 2013, il semble logique qu’une telle manifestation serve en partie les intérêts de certains acteurs culturels locaux concernés de près ou de loin par celle-ci…
Je suis surpris de cette perception car cela fait dix ans que l’on s’agite sur le terrain local, des artistes et des techniciens ont bénéficié du festival, ont grandi avec lui. Peut-être ne sommes-nous pas tombés sur les bonnes personnes, qu’il y a des intermittents locaux que nous ne connaissons pas encore… Je ne décortique pas les CV des gens en fonction de leur provenance, mais de leurs compétences. Tous les événements français similaires travaillent parfois avec des gens de l’extérieur, et je ne considère pas Marsatac comme un événement local, mais national. On a tout intérêt à s’allouer les compétences les plus pointues si l’on veut arriver à un résultat plus probant.
Propos recueillis par PLX
Marsatac #10, du 25 au 27/09 sur le J4
Voir programmation Short Cuts
www.marsatac.com