L’Interview : Florence Louise Petetin
Cultivez mon jardin. C’est le titre, injonction fictionnelle ou narrative, de l’exposition de Florence Louise Petetin au Passage de l’art. Décryptage avec l’artiste.
Première surprise : le vernissage se passe dans un lycée général et technologique, lieu de la galerie. Second étonnement : durant le débat organisé, les échanges sont attentifs, les propos parfois prosaïques ou fervents, exprimant toujours la curiosité et la recherche de mots à poser sur des toiles de formats amples, livrant leur expression singulière en noir et blanc.
Vous exposez pour la troisième fois au Passage de l’art. Pourriez-vous revenir sur vos expositions précédentes ? Quels en étaient le contexte et le projet ?
En 2003, j’avais l’idée d’une performance. La peinture ne pouvait-elle pas être un véritable travail salarié autant qu’un jeu ou une activité artistique ? Le besoin d’un travail à engager comme une expérimentation perturbante m’absorbait. Pendant un mois, je suis donc allée chaque jour à la galerie, avec des horaires fixes, des vêtements de travail, substituant cette activité à la précédente, le secrétariat. J’ai photographié un espace culturel pour rester dans mon sujet « espace de travail / espace de l’art » et j’ai réalisé la peinture d’un bureau (Éloge du bureau), celui du directeur de l’Espace Culture à Marseille, comme si ce bureau était son portrait. L’installation était accompagnée d’une vidéo d’enquêtes et d’interview sur la définition du travail. L’exposition suivante, En avant, en arrière, en 2005, était consacrée à un ensemble de portraits en série, très colorés, de quelques objets d’atelier. Les peintures, réalisées d’après des photographies ordinaires empruntées à différentes sources, figuraient des personnages cadrés dans un espace restreint, mais « irradiant » leur présence à travers l’instantanéité de leur saisie. Paradoxalement, cette exposition reflète aussi l’histoire de la fabrication du noir, ton que je recherchais par le mélange des couleurs, virant au sépia, brun, rouge sombre. L’ensemble de peintures présentées aujourd’hui se réfère aux paysages où j’aime être, familiers comme le Poitou ou lointains comme l’Inde. Avec un tel changement de registre entre l’infinité du petit et du grand que se repensent, dans cette tension d’échelle, les relations à la nature et sa représentation.
Dans vos toiles, le paysage est un espace mental autant que réel. Comment concevez-vous le paysage, et le choix affirmé de sa présence dans vos peintures ?
Le paysage m’intéresse aussi comme réalité quasi biologique et botanique, créée à partir de matériaux vivants, de pigments et de jus composés de grains et plantes pressés, mélangés à différents additifs. Une expérience que j’ai pu réaliser dans un ermitage à Trets où j’ai résidé. L’espace « diffracté » du paysage donne aussi un équilibre, une plénitude presque « méditative » aux toiles, qui sont en réalité des papiers où mes portraits continuent de paraître. Ouvrir l’espace représenté a finalement apporté des limites, un cadre plus construit à mon travail. Sur les petits portraits, un décalage décentrait très nettement la toile vers la droite. Je prépare maintenant les photographies, fabrique les modèles comme les couleurs et encres avec plus d’attention, je choisis mes papiers…
Dans un article consacré à l’artiste (1), Hervé Castanet cite Antonin Artaud : « Il y a un donc un quelque chose (…) qui ne m’empêche pas d’être ce que je pourrais être, mais me laisse si je puis dire, en suspens… » C’est bien de cette suspension de la représentation, et de l’écart (des scènes vécues et représentées) qui fonde le mouvement des formes entre paysages et figures, dont il est question dans la démarche de Florence Louise Petetin.
Christine Quentin Maignien
Jusqu’au 14/12 au Passage de l’Art (Lycée du Rempart, 1 rue du Rempart, 7e). Rens. 04 91 31 04 08
Notes- Voir www.documentsdartistes.org[↩]